Passer au contenu principal

Manifs d’agriculteurs 2024, ou : la grande offensive de la société des trouducs

(source : m’en fous pour l’instant)

(Traduit par Christophe Lucchese)

Chèr.e.s ami.e.s,

Une fois de plus, je me réveille après un magnifique réveillon d’excès dans une république qui, en l’espace de quelques jours, a fait un pas de géant à droite. Or cette fois, ce n’est pas juste moralo-discursif (2023 : « Réveillon à Neukölln » et « petits pachas »), non, il s’agit cette fois d’un pas tactique et stratégique. Cette fois, des manifs d’agriculteurs/rices – lesquels ne sont pas de droite en soi, mais qui présentent tout de même de fortes tendances droitières – ont extorqué en quelques jours à un gouvernement fédéral faible des concessions que le mouvement pour le climat n’aurait pas pu obtenir en quinze ans. Ma foi, rien d’étonnant, car qui se frotte aux agriculteurs/rices risque des émeutes et des blocages de processus vitaux de première nécessité (raffineries, etc.), là où celleux qui s’opposent au mouvement pour le climat risquent tout au plus un gâteau trop cuit de Fridays For Future.

Ce qui prouve à mon sens plusieurs de mes thèses :

  1. La protection du climat n’a pas lieu, du tout, vraiment pas, même pas le plus petitement du monde

  2. La grande offensive de la droite contre la normalité « gauche-verte cradingue » ne fait que commencer : elle passe de la guerre de position à la guerre de mouvement (cf. Gramsci)

  3. Les manifs d’agriculteurs/rices sont la première action guerrière à l’échelle fédérale dans ce qui se présente comme la grande offensive fasciste

De la rage des agriculteurs/rices

Remember neoliberalism? Ce dernier, pensaient les gauchistes, n’est pas en mesure d’imposer une « hégémonie », une domination stable, parce qu’il réduit les salaires, les prestations sociales, etc. Ça devrait résister… Sauf que l’intégration hégémonique du néolibéralisme s’est faite par les bas prix.

En d’autres termes, même s’il a brisé et appauvri les gens en tant que travailleurs/euses, le néolibéralisme ne s’est pas adressé aux travailleurs/euses chez les gens, à l’instar du fordisme/keynésianisme, mais aux consommateurs/rices. Et à celleux-là, il promettait, non, il donnait tout, toujours moins cher.

L’électronique grand public ? Moins cher. L’énergie, l’essence ? Moins cher. Les fringues ? Moins chers. Les produits alimentaires de base comme les trucs importés, qui étaient auparavant trèèèès chers ou inexistants ? Non seulement beeaauuucoup moins chers, mais aussi year around. Tout partout moins cher pour tout le monde.

Dans le domaine de l’agriculture, ces baisses de prix massives furent rendues possibles, entre autres, par l’industrialisation et le renforcement rapides des fermes en exploitations agricoles industrielles gigantesques, avec des processus de production hautement technologiques et chimiquement boostés.

Par conséquent, les petit.e.s agriculteurs/rices ont toujours été l’un des piliers du « mouvement altermondialiste » antinéolibéral (esp. La Via Campesina, représentée en Allemagne par l’Arbeitsgemeinschaft bäuerliche Landwirtschaft [l’équivalent allemand de la Confédération paysanne, NdT]).

Agriculture versus protection du climat

En route vers la #CriseClimatique : dans ce contexte, la protection du climat doit notamment signifier qu’il faut modifier en profondeur les processus de production, écologiquement pétés à tous points de vue. Ce qui pose problème aux agriculteurs/rices, les marges de profit dans le secteur étant (du moins encore récemment) assez faibles.

Nous avons donc : un secteur avec de faibles marges de profit ; un processus de production de part en part industrialisé & chimicalisé (not a word) ; & des effets socio-environnementaux massivement négatifs jusque-là épargnés par toute mesure de protection climatique.

Toute véritable mesure de protection du climat remet donc en question l’existence de ces entreprises agro-industrielles, parce qu’elles doivent répercuter les augmentations de prix sur les consommateurs/rices compte tenu de la forte compétitivité dans le secteur (& bien sûr de la conjoncture économique générale).

Fuck with farmers at your own risk

Nous voilà donc dans un scénario de combat : d’un côté, un gouvernement fédéral soi-disant socio-écologico-libéral [alliance entre socialistes, verts et libéraux, NdT] qui tente désespérément d’obtenir un tout petit petit peu de protection climatique avant de disparaître en 2025 au plus tard après avoir échoué dans le secteur de l’énergie.

D’un autre côté, des agriculteurs/rices économiquement au pied du mur, culturellement de plus en plus invisibles et inaudibles dans un monde de moins en moins blanc, rural, conducteur de tracteurs, et (Marx : « l’idiotie de la vie rurale ») culturellement plutôt conservateurs, en outre dotés de deux choses qui les rendent aptes au combat :

  1. ils ont toujours eu le contrôle de leurs propres moyens de reproduction (they can grow their own food, own their land), ce qui les rend résilients

  2. les machines agricoles sont de puissantes armes

On a vu ça dans le Wendland [action d’activistes allemands appuyée par des agriculteurs/rices pour bloquer l’acheminement de déchets nucléaires en 2011, NdT], où le blocage des lignes Castor (2 routes menaient au « dépôt final » : route sud & nord) fut réparti entre les groupes activistes & les paysan.ne (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).s locaux. On a eu besoin de milliers de personnes pour bloquer efficacement. Eux, de quelques tracteurs.

On a vu ça en Hollande, ou avec les luttes des paysans français dans le Larzac, peut-être certain.e.s se souviennent encore de José Bové qui avait utilisé son tracteur pour démonter un McDonald. Les tracteurs (comme le blocage des trucks au Canada) peuvent TOUT bloquer.

TOUT bloquer signifie être capable d’interrompre le flux d’approvisionnement des villes ; ça signifie couper une société basée sur les énergies fossiles de l’approvisionnement énergétique, p. ex. en bloquant les raffineries (cf. UK trucker protests 2000).

Le potentiel perturbateur des manifs d’agriculteurs/rices est donc gigantesque, et leur rôle dans la société reste important malgré la mondialisation et l’industrialisation : l’effondrement de la production alimentaire nationale serait un désastre pour tout gouvernement.

D’où les pharamineuses subventions pour le secteur agricole ultra-industrialisé et over-chimicalisé (mot n’existant toujours pas), comme décrit ci-dessus. As a government, you need the farmes, & you don’t want to fuck with them. You really don’t.

État des lieux

  1. La protection du climat nécessite d’agir dans le domaine agricole

  2. Cette action augmenterait les coûts & diminuerait les profits, mais l’augmentation des prix reste limitée

  3. Les agriculteurs/rices se retrouvent économiquement dos au mur & se sentent culturellement marginalisés

  4. Les agriculteurs/rices sont des sujets extrêmement combatifs en raison de leur équipement et de leur base de repli rurale

  5. Les manifs d’agriculteurs/rices ont récemment remporté deux grandes victoires, d’abord en Hollande, puis contre les nouvelles règles agricoles de l’UE. De quoi donner du courage & la niaque

  6. Les liens organisationnels & culturels avec la droite sont très forts, du moins dans une grande partie de l’Europe (there’s a reason Queers & PoCs don’t wanna move to the countryside)

  7. Fucking with farmers almost ALWAYS leads to chaotic protests & often riots

  8. Un gouvernement fédéral impopulaire ne peut pas se permettre d’imposer quoi que ce soit à un groupe bien organisé et prêt à combattre, surtout pour une cause aussi impopulaire que la protection du climat

  9. Ça signifie que le gouvernement fédéral a dû plier l’échine, c’est là que réside la différence avec Letzte Generation

  10. La droite, déjà plus proche de la campagne que de la ville (où habitent les « gaucho-verts cradingues » ?), reconnaît soudain dans les agriculteurs/rices leur nouvelle section d’assaut, car, si les agriculteurs/rices peuvent souvent être de sales réacs, ils jouissent d’un grand prestige social

  11. Ainsi, les cadres de droite ne se contenteront pas d’organiser des manifestations anti-migrants avec des bouseux en colère, ils peuvent désormais déplacer des troupes de combat à l’échelle du pays : (overlay, voix de Höcke : « Blocage d’agrrriculteurrrs/rrrices maintenant tout autourrrrr de la capitale ennemie, tout autourrr de Berrrlin »)

  12. Face à ce scénario, la coalition rouge-vert-jaune va remballer ses dernières tentatives de faire passer la moindre loi pertinente sur le climat, elle sera un gouvernement de type « canard boiteux » en 2024. La droite se frotte les mains, au sein de l’Union [CDU/CSU, chrétiens démocrateset conservateurs, NdT], il est clair que la politique anti-climat est un vote gagnant

2024 sera l’année où la protection du climat – relevant à ce jour plus de la fiction que d’une réalité – mourra. RIP protection du climat : you never even saw the light of day. Si le mouvement pour le climat ne veut pas la suivre, il doit donc devenir climantifa. Climantifa ou la mort.

Salutations climantifascistes,

Tadzio

0 commentaire

Vous voulez être le·la premier·ère à écrire un commentaire ?
Devenez membre de Friedliche Sabotage et lancez la conversation.
Adhérer