Exploiter le vaste potentiel des déchets de fruits de mer... sans effets toxiques
La découverte d’une façon plus écologique d’extraire la chitine des coquilles et des carapaces ouvre la voie à la conception d’emballages biodégradables, de produits pharmaceutiques plus verts et même de nouveaux engrais.
Par Emma Bryce (Abre numa nova janela)
Les exosquelettes complexes des homards, des crabes et des crevettes constituent une immense ressource inexploitée : plusieurs millions de tonnes de ces déchets de fruits de mer (Abre numa nova janela) sont jetées chaque année. Or, un polymère organique présent en abondance dans la coquille des mollusques et la carapace des crustacés, la chitine, pourrait en être extrait pour fabriquer des emballages biodégradables ou produire des aliments, voire des additifs pharmaceutiques et cosmétiques.
Si certains ont trouvé un moyen d’extraire la chitine des carapaces de crustacés (Abre numa nova janela), le processus nécessite des produits chimiques industriels corrosifs tels que l’acide chlorhydrique. Or, ces produits fonctionnent uniquement à des températures élevées, polluent l’environnement et exigent de grandes quantités d’eau pour en neutraliser la toxicité en fin de vie. Cependant, une équipe de recherche a trouvé une méthode plus écologique pour exploiter cette immense réserve de chitine.
Leur découverte prend la forme d’un solvant visqueux qui peut être appliqué sur les carapaces écrasées des crustacés pour séparer leurs couches multiples et denses de chitine, de protéines et de sels de calcium. Dans le processus conventionnel, de l’acide chlorhydrique et d’autres ingrédients synthétiques sont ajoutés pour rompre les liaisons hydrogène dans la matière. Cette étape est cruciale pour libérer la précieuse chitine qu’elle contient. Pour éviter d’avoir à ajouter des acides industriels corrosifs au mélange, l’équipe de recherche s’est mise en quête de solutions de rechange qui permettraient d’atteindre le même objectif tout en étant moins nocives.
Deux possibilités se sont dégagées : les acides lactiques et maliques organiques, deux ingrédients qui entrent dans la composition d’aliments de consommation courante. L’équipe a également choisi d’utiliser le glycérol, « sous-produit non toxique, biocompatible et bon marché de l’industrie du biodiesel », et le chlorure de choline, un sel fréquemment utilisé en tant qu’additif alimentaire (Abre numa nova janela). Les acides organiques et le glycérol sont des donneurs d’hydrogène, ce qui signifie qu’ils libèrent certains de leurs atomes d’hydrogène en présence d’ingrédients tels que le chlorure de choline, qui est un accepteur d’hydrogène.
À partir de là, les scientifiques ont testé deux recettes à trois ingrédients : le glycérol et le chlorure de choline combinés soit à l’acide lactique, soit à l’acide malique. Ces combinaisons uniques ont chacune formé ce que l’équipe décrit comme un solvant « riche en liaisons hydrogène ». Ce mélange riche en hydrogène est important, car il neutralise et rompt les liaisons d’origine dans la matière qui forme la matrice complexe des carapaces, ce qui permet de séparer et de libérer la chitine des autres composés.
Pour tester ses nouveaux solvants verts, les chercheurs ont acheté en épicerie des pattes et des pinces de crabe des neiges, les ont fait bouillir pour en retirer la chair, puis ont fait cuire au four les carapaces restantes à haute température avant de les broyer en une fine poudre. Ils ont ensuite appliqué deux principaux types de solvants : l’un contenant du glycérol, du chlorure de choline et de l’acide lactique, et un autre dans lequel l’acide lactique était remplacé par de l’acide malique.
Si les deux mélanges ont pu rompre les liaisons hydrogène et extraire la chitine, c’est le mélange contenant de l’acide lactique qui s’est le plus démarqué. En effet, les chercheurs ont constaté que ce mélange restait efficace pour décomposer les carapaces de crabe après trois utilisations, ce qui en fait le choix le plus efficace et le plus durable. De plus, contrairement aux solvants habituels, ce mélange n’a pas besoin de températures élevées pour fonctionner, ni de grandes quantités d’eau pour neutraliser sa toxicité en fin de vie.
C’est pourquoi cette solution est très prometteuse pour des applications concrètes. Sur les quelque huit millions de tonnes de crabes, de homards et de crevettes produites chaque année, une grande partie des carapaces finit dans des décharges à l’intérieur des terres ou sur la côte, où elles libèrent des nutriments résiduels comme n’importe quel autre type de déchet organique, polluant ainsi le sol, l’eau douce et les écosystèmes marins.
L’avantage d’un processus plus respectueux de l’environnement n’est donc pas seulement qu’il remplace des produits chimiques plus puissants, mais aussi que son efficacité et sa rentabilité relatives pourraient faciliter la transformation d’une plus grande quantité de ces déchets en produits utiles.
La chitine a un grand potentiel en tant que substitut biodégradable des emballages en plastique, mais l’équipe de recherche envisage maintenant une autre utilisation précise : transformer la chitine récupérée en un engrais riche en nutriments pour les cultures. « Nous espérons pouvoir transformer ces déchets en trésors, ou du moins en produits à valeur ajoutée », expliquent ses membres (Abre numa nova janela).
Luo et coll. « Glycerol/organic acid-based ternary deep eutectic solvents as a green approach to recover chitin with different molecular weight from seafood waste (Abre numa nova janela)», International Journals of Biological Macromolecules, 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/03/experts-unlock-the-vast-potential-of-seafood-waste-without-the-toxic-after-effects/ (Abre numa nova janela)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Abre numa nova janela). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Abre numa nova janela), la Durabilité à l’Ère Numérique (Abre numa nova janela) et le pôle canadien de Future Earth (Abre numa nova janela).