Championnats du Monde Boston 2025 - programme court messieurs : Hunger Games !
Ilia Malinin a une gueule d’ange, la souplesse d’un chat, le mental d’un gladiateur, et un culot monstre. Il a vingt ans… Devant son public, il est ultra concentré et confiant. Comme sa compatriote Amber Glenn, il a gagné chacune des compétitions auxquelles il a participé cette saison. Quad flip, triple Axel, quad Lutz/triple boucle piqué, séquence de pas et pirouettes de niveau 4 (sauf la Flying Sit niveau 3). Ilia a encore du travail avant d’être qualifié de véritable artiste, mais il a réalisé un gros progrès dans ce domaine cette saison. Peut-être pas au point de l’arroser de 9.50 voire plus en composantes quand même… Mais nous sommes aux US. Le costume est étrange à tendance moche, mais la musique choisie, “Running” de N.F. lui va très bien. Si l’on s’attarde aux paroles, la chanson est mélancolique, ce que n’est pas le rythme, et l’Américain fait un réel effort d’interprétation. Quels que soient ses manques sur la glace, et il en a, il est impossible de ne pas être emporté par sa technicité et sa fougue. Tout va très très vite et sans la moindre faute. De quoi décrocher 110.41 points et son Season Best. Pour l’anecdote, l’un de ses éléments signatures, le “raspberry twist” n’est pas seulement une figure qu’il a créée. C’est aussi un clin d’oeil à son patronyme. En russe, (ses parents sont d’origine soviéto-ouzbèque) “raspberry” (framboise) se dit… Malinin.
Les puristes préfèreront Yuma Kagiyama. Artistiquement, les deux patineurs ne jouent effectivement pas dans la même cour. La glisse et la fluidité du Japonais sont tout simplement sublimes. La difficulté technique est inférieure à celle du programme de Malinin, mais si le patinage de l’Américain est d’une puissance inégalée, celui du Japonais est absolument fascinant. Emouvant, hypnotisant, on ne trouve plus les qualificatifs. Aucune erreur pour lui non plus avec quad boucle piqué/triple boucle piqué, quad Salchow, triple Axel, tous les autres éléments de niveau 4. Ses composantes sont logiquement supérieures, elles devraient l’être encore plus, ou celles de Malinin, on l’a déjà dit, devraient être plus basses. Dernier à passer sur la glace, Yuma a de quoi avoir la pression, mais résiste. La version de “The Sound of Silence” choisie, par Milos Karadaglic et Garou, est très belle, et il l’interprète avec délicatesse. Lui aussi signe son Season Best avec 107.09 et prend provisoirement la 2ème place.
Mikhail Shaidorov est 3ème (94.77) avec un “Dune” qui manque toujours de ressenti et de chorégraphie, mais sa puissance technique n’est plus à prouver. Une main posée sur la glace à la réception du triple Axel lui fait perdre des points mais le score technique reste élevé. J’apprécie sa solidité et sa détermination. Mikhail n’aime pas qu’on le compare à feu Denis Ten, unique autre patineur kazakh à avoir atteint les podiums. En effet leurs styles de patinage sont très différents. Question de construction physique et de personnalité. Vice-champion du Monde junior en 2022, il n’aura pas fallu longtemps à Mikhhail pour gravir les plus hauts échelons seniors. “La journée a été difficile pour moi. J’étais très nerveux.” Bravo car ça ne s’est pas vu.
Kevin Aymoz est revenu à son programme court de l’an dernier (voir interview (Si apre in una nuova finestra)) sur le très émouvant “Bird Gehrl” d’Antony and Johnsons. Un seul mot pour sa prestation : magnifique. Le quad boucle piqué en combinaison avec un triple est réceptionné sur le quart, mais ce seront les seuls grades d’exécution négatifs de sa feuille de score. Son triple Axel, qu’il a été le premier patineur à lancer depuis un grand aigle, difficulté copiée par beaucoup depuis, est d’une précision chirurgicale. Le triple Lutz est tout aussi net. Kevin laisse ses tripes sur la glace, tout en patinant sobre, ce qui n’est pas offert à tout le monde. Mais il n’est pas tout le monde… Sa sensibilité est sa meilleure alliée, parfois aussi sa pire ennemie. Aujourd’hui, tout était au top et Kevin est heureux. Il décroche son Season Best (93.63), à peine un peu plus d’un point derrière Shaidorov, mais avec 8 points de plus en composantes. Dans un monde parfait, ces fameuses composantes devraient friser celles de Kagiyama et dépasser de loin celles de Malinin…
Shun Sato et sa chemise pailletée des années 80 sont 5èmes (91.26). Il est déçu mais une grosse erreur sur sa combinaison le pénalise à juste titre. Les mains posées à la réception du quad boucle piqué le condamnent à n’enchaîner qu’avec un double. Le programme, chorégraphié avec talent par Guillaume Cizeron sur “Ladies in Lavender” d’où la couleur de la chemise, est très beau. Mais pas patiné au maximum des possibilités du Japonais. La coiffure de Nika Egadze m’évoque un cacatoès en colère, ce qui ne l’empêche pas de réaliser un programme quasi propre. Des deux “Enfer” de Stromae entendus ce soir, ce n’est sûrement pas le meilleur, par manque d’interprétation et même peut-être de sensibilité. Concentré sur ses difficultés techniques, Nika semble ne pas écouter sa musique. La préparation de sa lucrative combinaison de départ, quad Salchow/triple boucle piqué, semble durer des heures et des kilomètres, ce qui, d’entrée, ne donne pas une bonne impression. Mais ni Eteri Tutberidze, ni Daniil Gleinkengauz ne sont connus pour concocter de bons programmes à leurs élèves masculins.
A première vue, le programme de Nikolaj Memola, 7ème (87.89), semble très clean. Erreur. Ses deux Lutz, le premier à quatre tours et le second en combinaison avec un triple boucle piqué, sont réceptionnés en carre douteuse. Le déficit de points n’est pas énorme, mais néanmoins, il compte. Les pirouettes, de niveau 4, sont spectaculaires mais la séquence de pas n’est que de niveau 2. Son choix de la musique de “Mission Impossible” prouve que le géant italien n’est pas superstitieux ! Andrew Torgashev occupe pour l’instant le 8ème rang (87.27), sur les talons de Memola. Son “Enfer” de Stromae est cent fois plus convaincant que celui d’Egadze. La chorégraphie signée Shae-Lynn Bourne, est de toute beauté, et masque habilement quelques défauts qui seront à rapidement corriger. Mauvaise soirée pour Adam Siao Him Fa, qui chute brutalement sur son quad Lutz d’entrée de programme. La pointe du patin accroche à la sortie de quad boucle piqué/triple boucle piqué et lui vaut des GOEs négatifs. Adam a de la ressource et le reste de sa prestation est sans tache. France TV évente un récent problème qu’il a eu à la hanche mais qui ne le gênait plus. Adam est très déçu, mais au contraire de son “Terrien”, pas réellement en détresse. “J’ai eu du mal à gérer mon stress. Pour le libre, je vais faire mon maximum, sans penser à Montréal”. Il est pour le moment 9ème avec 87.22. Lukas Britschgi, récent et surprenant champion d’Europe, est 11ème (85.83) devant l’inusable Jason Brown (84.72). Le Suisse commet des erreurs sur sa combinaison et son triple Axel, au contraire du Californien dont le programme est propre (sauf un quarter) et sauvé par ses composantes, car techniquement d’un autre âge. Daniel Grassl est 14ème (80.47) après une grosse chute sur quad Lutz et un programme peu inspirant. Deniss Vasiljevs, qui en est à ses neuvièmes championnats du Monde (!), espérait sûrement mieux que cette 16ème place provisoire (79.99). Il est le premier à descendre sous la barre des 80 points. Son programme sur “Helix” de Justice est pourtant bien pensé, et le rythme soutenu et festif est un agréable changement comparé à ses nombreuses prestations classiques.
A l’exception des deux premiers patineurs du classement qui ont pris un très large avantage, (plus de 15 points entre Malinin et Shaidorov pour un écart de deux places) la compétition reste très ouverte pour ceux qui les suivent et se tiennent dans un même point. Si le libre dames demain soir sera palpitant, le libre messieurs de samedi promet une bataille fratricide et épique. Avec, pourquoi pas, une belle remontée d’Adam Siao Him Fa ?
Kate Royan