Skate America 2024 - Les seniors entrent en lice
Danse sure glace
Lilah Fear et Lewis Gibson (206.38) devant Madison Chock et Evan Bates (205.63) ? Surprenant ? Oui. Mais non… Une chute bête des Américains sur la séance de pas chorégraphiée de la Danse Rythmique leur a valu des grades d’exécution négatifs et un point de déduction. Madison et Evan gagnent la danse libre (127.75 contre 122.82), mais ce ne sera pas suffisant pour battre les Britanniques au final. La qualité de patinage des seconds n’est pas remise en question, celle des premiers est toujours correcte, sans plus. Mais que dire de leurs programmes ? Commençons par Lilah et Lewis : une RD (Si apre in una nuova finestra) sur “Le Freak”, puis Stevie Wonder, nous sommes dans le thème. Ils sont toujours aussi vifs, aussi généreux. Et en gros, ils font, hélas, toujours la même chose. Le spectacle est agréable, ultra-séduisant pour le public, comme d’habitude. Et sans aucune originalité. Ils ont trouvé leur créneau, ils s’y tiennent, sans jamais se renouveler. Leur danse libre (Si apre in una nuova finestra) sur un medley de Beyoncé commence par une partie lente. Nous revenons cependant très vite au show habituel. Le montage musical (“Halo, “End of Time”, “Crazy in Love”) est abrupt, la fin arrive comme les cheveux sur la soupe. Vous l’aurez compris, mon capital sympathie pour les prestations de ces deux danseurs s’est passablement émoussé. Côté Chock/Bates, ce n’est guère mieux avec une RD composée de onze morceaux différents (Si apre in una nuova finestra). Du “quilt” (patchwork) en tout petits carrés dont l’assemblage est très vite pesant, voire indigeste. Leur FD (Si apre in una nuova finestra) sur “Take Five” de Brubeck, standard du jazz le plus diffusé dans le monde, est un pari courageux. Une mesure à 5 temps, ce n’est pas commun, ni dans le jazz, ni dans la musique en général. Cette métrique inhabituelle rend le morceau difficile à patiner. Mais ils ont du métier et du talent. Le programme est encore en rodage, on verra s’ils gagnent leur pari sur la durée. Olivia Smart et Tim Dieck prennent une jolie troisième place (189.44). Au contraire de Lilah Fear, Olivia sait se servir de ses carres, mais son partenaire n’est pas encore au niveau d’un Lewis Gibson. N’empêche… J’aurais volontiers classé les Espagnols d’adoption devant les Anglais. Leurs deux programmes dénotent d’une vraie recherche et, techniquement, ils ont énormément progressé. Seulement 5èmes de la RD (Si apre in una nuova finestra) sur Janis Joplin et les Doors, avec des GOEs moyens mais de bonnes composantes (les 3èmes devant Davis/Smolkin et Fabbri/Ayer), ils accrochent une 3ème place dans la FD (Si apre in una nuova finestra), avec de bien meilleures notes. Sur la B.O. du film “Dune”, très prisée cette saison, ils réalisent une prestation soignée et originale. Je n’aurais sans doute pas ajouté “The Feeling Begins” de Peter Gabriel à la fin, car le morceau a été beaucoup trop utilisé. Mais, mélodiquement, il s’accorde très bien avec “Dune”. Les Géorgiens Diana Davis et Gleb Smolkin sont 4èmes (187.05) avec deux danses réussies sur le plan technique. Les costumes de la RD (Si apre in una nuova finestra) font plus cabaret que danse sociale, mais le programme est agréable à regarder, frais et léger. Leur libre (Si apre in una nuova finestra), sur Led Zeppelin et Beth Hart (mélange curieux) aurait pu être original. Or la musique semble uniquement servir de support à la prestation, sans ressenti ni direction nette. Dommage.
Messieurs
Difficile de rivaliser avec un Ilia Malinin et son incroyable capacité à sauter. D’aucun diront qu’il ne sait faire que cela. Je ne suis pas, ou plus, d’accord. Le jeune Américain a progressé sur le plan des composantes. Peut-être pas au point de mériter celles qu’on lui accorde… Mais on note un effort louable d’interprétation dès son programme court (Si apre in una nuova finestra), et une nouvelle amplitude de mouvements. “Running” de NF est un morceau intéressant, sentimental, avec des accélérations sur fond de rap. Il réceptionne sur deux pieds son quadruple flip d’entame, mais tout le reste est excellent : triple Axel, quad Lutz/triple boucle piqué (Base Value : 17.27, note finale 20.56 !), sauf la seconde pirouette, mal engagée et lente. Il perd un point pour dépassement de temps, mais prend la tête (99.69). Il est talonné par Kao Miura (Si apre in una nuova finestra) à quelques dixièmes (99.54). Cédric Tour a arrangé pour lui “Conquest of Space” de Woodkid. La vitesse et la netteté du Japonais sont à couper le souffle. Hormis un quarter sur le triple Axel, tout est propre, en particulier sa combinaison quad Salchow/triple boucle piqué absolument parfaite. Avec “Les Parapluies de Cherbourg” pour le libre (Si apre in una nuova finestra), il change radicalement de registre. Pas sûr que ce soit l’idée du siècle, car il semble beaucoup moins à l’aise que la veille. Un quad boucle piqué en quarter et une sous rotation du triple Axel lui font perdre une place, 3ème avec 179.13 et un total de 278.67. Ilia patine son libre (Si apre in una nuova finestra) sur “I’m not a Vampire” de Falling in Reverse, groupe US de rock alternatif. Le thème est très “radio friendly” et Ilia se concentre plus sur la technique que sur l’interprétation. Il faut dire que… c’est du lourd. Quatre quads. La technique en question lui file un peu entre les patins : quadruple boucle éclaté en double, triple Lutz complètement retourné, quarter sur le quad Salchow/triple Axel en séquence. Mais nous sommes en début de saison. 190.43 lui offrent seulement la seconde place du libre, sans l’empêcher de gagner la compétition (290.12). Qui a gagné le libre ? Kevin Aymoz ! Après une très bonne 4ème place dans le court (92.04), le Grenoblois se voit pousser des ailes. Parlons-en de ce court (Si apre in una nuova finestra). Sur “Everybody” de Martin Solveig, morceau hyper tonique, Kevin est hyper rapide, hyper motivé, hyper sexy. Le quad boucle piqué en combinaison est réceptionné sur l’avant, ce sera sa seule erreur. Son triple Lutz est si haut qu’il pourrait ajouter un tour. Il empoche, très logiquement, les meilleures composantes du jour. Silvia Fontana y laisse une fois de plus son maquillage, aux côtés d’une Françoise Bonnard, tout aussi ravie, mais beaucoup plus posée. Ce qui fait le plus plaisir est de le voir… se faire autant plaisir. Il n’est pas en reste dans le libre (Si apre in una nuova finestra). “Van Gogh” de Virginio Aiello, “Hold on Tight” de Thomas Azier et “Destiny” de Karl Hugo. Les trois partitions prennent aux tripes. Le patinage de Kevin aussi. Pas une erreur. Il s’offre le meilleur score de sa carrière, 190.84, et moi un paquet de mouchoirs. Je ne vous parle même plus du mascara de Silvia, qui lui descend à présent au menton. Ce libre est époustouflant. De beauté, de sensibilité, de sobriété et de rigueur, mais aussi et surtout d’émotion. Que pourrait-il faire de mieux ? A part ajouter des quads… Et il bat déjà Malinin avec deux. Il monte sur le podium pour une médaille d’argent avec un total de 282.88. Le projet est clair : il veut se qualifier pour la Finale du Grand Prix qui se tiendra, chez lui, à Grenoble. “Hold on Tight”, accroche toi. Mais attention, il n’est pas question de lui coller sur les épaules une pression intenable, ce qui, par le passé, l’a fait basculer souvent. Kevin est parfaitement capable de se qualifier, il le sait, il l’a déjà fait. Donc laissons le tranquille. Nika Egadze, 3ème du court (93.89) sur “Enfer” de Stromae et un programme (Si apre in una nuova finestra) ultra propre, descend à la 4ème place du libre (Si apre in una nuova finestra) (167.82). Présenter 4 quads ne suffit pas. Surtout lorsqu’on chute sur le premier (flip) et que le 4ème (Salchow) prend un grand coup de vent de travers. Le garçon est néanmoins impressionnant sur le plan purement technique. “L’Hiver” de Balmorhea est une très jolie musique, la B.O. de “Oppenheimer” est très bien aussi, mais il faudrait un minimum d’interprétation. Il a cependant progressé niveau composantes. Il termine 4ème (261.71) devant un Deniss Vasiljevs (251.47) toujours aussi élégant, et toujours en délicatesse avec son quad, le Salchow, le seul qu’il tente. Sans jamais le réussir ou presque. Le quad de Deniss ? C’est le Dupont de Ligonnès du patinage ! Pour son premier Grand Prix senior, François Pitot est 11ème (202.96), distancé aux points, après un programme court (Si apre in una nuova finestra) très chahuté (12ème), mais une très belle remontée dans le libre (Si apre in una nuova finestra) : 6ème !
Dames
Huit ans auront passé entre la première participation de Wakaba Higuchi à un Grand Prix (France, 2016) et sa première victoire ! Son “Dune” (la musique de cette saison !) aurait dû la mener en tête du programme court (Si apre in una nuova finestra). Hélas, l’inflation locale est passée par là. Aussi volontaire, technicienne et élégante qu’elle soit, la Japonaise n’est que 4ème (66.12), après une combinaison triple Lutz/triple boucle piqué en sous rotation et une carre douteuse pour le triple flip. Avec 68.43, Isabeau Levito (Si apre in una nuova finestra) semble prendre une sérieuse option pour la victoire. Symbole de grâce et de légèreté, sa prestation reste néanmoins très convenue. Son “Moon River” en tenue Audrey Hepburn, manque de conviction et de feeling. Revenir au plus haut niveau, à 26 ans, après des blessures aussi sérieuses que celles vécues par Bradie Tennell est un exploit en soi. Ceci ne justifie pas qu’elle soit à ce point surnotée le premier jour. Grande fan de Lord of the Dance, j’apprécie son programme court (Si apre in una nuova finestra), intelligemment construit et chorégraphié (par Benoît Richaud), sans être certaine qu’il mérite 66.99 et une seconde place. Ou plutôt en étant certaine qu’il ne le mérite pas. “Nessun Dorma” pour le libre (Si apre in una nuova finestra) ? Vraiment ? Cette vieille scie des patinoires usée à ne plus avoir de dents ? Bradie est une patineuse solide, bonne interprète, qui pourrait se permettre un peu plus de fantaisie. A l’exception de deux sous rotations et d’un Lutz passé en simple, les deux prestations sont propres. Mais les notes descendent lors du libre qu’elle termine 6ème (125.05), pour une 5ème place finale (192.04). Wakaba Higuchi, elle, remonte comme une fusée. “Stranger Things” et les voix acidulées d’Aurora et Kate Bush vont comme un gant à sa fluidité. Seules une erreur sur le triple Lutz et une faute de carre sur le flip lui valent des GOEs négatifs. 130.81 lui offrent la victoire dans le libre (Si apre in una nuova finestra) et la première marche du podium. Nina Pinzarrone est seconde (130.76), à quelques poussières de points. Son court (Si apre in una nuova finestra), d’un classicisme suranné, sur le “Lac des Cygnes”, la classe en 5ème position (62.85). Son libre (Si apre in una nuova finestra) est cent coudées au dessus. Une vraie trouvaille, parfaitement patinée et très bien interprétée : le thème principal de “The Handmaid’s Tale” . Avoir lu le roman de Margaret Atwood et/ou avoir vu la série télévisée permet d’apprécier le programme à sa juste valeur. Beaucoup de délicatesse et d’émotion dans l’exécution, on en oublie les sous rotations de ses Lutz et boucle. Elle obtient d’ailleurs le meilleur T.E.S. de la soirée, 0.64 point devant celui de Wakaba. Avec 193.61, Nina est au 4ème rang du classement général. Isabeau Devito patine son libre (Si apre in una nuova finestra) sur “Rêve d’Amour” de Franz Liszt. Du classique au kitsch involontaire, il n’y a parfois qu’un pas. Qu’elle franchit, mais avec sa grâce habituelle. Si seulement elle pouvait cesser de se casser en deux, mains presque parterre et corps à l’oblique, dans la préparation de son Lutz et de son flip ! Elle qui, pourtant, a des lignes si pures. En pointillés les lignes aujourd’hui, puisqu’elle cumule quarters, edges, sous rotations, carre douteuse et une chute. Elle recule à la 5ème place (126.40) et sur la 3ème marche du podium (126.40). La médaille d’argent revient à Rinka Watanabe (195.22). A propos de classicisme… “La Sonate au Clair de Lune” de Beethoven pour son court (Si apre in una nuova finestra) et “Maria de Buneos Aires” de Piazzolla pour son libre (Si apre in una nuova finestra). Mais ! Rinka est dotée d’un vrai sens musical. L’arrondi de sa gestuelle épouse parfaitement les notes (de musique, pas celle des juges). Même si les deux partitions ont déjà été entendues cent fois, la patineuse sait en tirer le meilleur parti. Les deux programmes sont à peine entachés de deux sous rotations (dans le libre). 3ème des deux segments de la compétition (66.54/128.68), elle décroche la 2ème place avec panache. Léa Serna, seule Française engagée, termine 11ème (151.87). La voix de crécelle d’Indila me fait grincer des dents, et le titre “Tourner dans le Vide” pourrait sembler ironique, mais le programme court (Si apre in una nuova finestra) de Léa est très bien ficelé. Deux sous rotations et une chute (triple flip) ne lui permettent pas de montrer l’étendue de son talent. Dommage, car Léa en a à revendre. Son libre (Si apre in una nuova finestra) est, lui aussi, construit avec ambition et équilibre. Le rock lyrique à la sauce Muse lui donne un regain d’élan. Malgré des carres douteuses et une nouvelle chute, Léa semble plus combative que par le passé et c’est une bonne nouvelle. Je la trouve assez mal notée, en particulier sur les composantes.
Couples
Avec, au total, 13 points d’avance sur leurs poursuivants (214.23), les Japonais Riku Miura et Ryuichi Kihara, sortent vraiment du lot. Dès le programme court (Si apre in una nuova finestra), ils devancent franchement (77.79) Ellie Kam et Danny O’Shea (70.66). Sur “Paint it Black” des Rolling Stones en version électro-violoncelle, la prestation ne souffre d’aucun déchet, tout y est : vitesse, technicité, portés spectaculaires, enthousiasme. “Adios” de Benjamin Clementine pour leur libre (Si apre in una nuova finestra) souligne encore d’avantage leur personnalité éblouissante. Ils ont une vraie aura, ils prennent des risques - que Riku paie d’une chute sur le triple boucle lancé - , tout va tellement vite qu’on a envie de se cramponner à son siège pour ne pas en être arraché. Ils sont donc premiers du libre (136.44). Je ne suis pas encore totalement lassée de “Rain in Your Black Eyes” d’Ezio Bosso qui est un très joli morceau, mais ça ne saurait tarder… Ellie Kam et Danny O’Shea ne font pas vraiment honneur, aujourd’hui, à la sensibilité et à la douceur de la mélodie. Le programme (Si apre in una nuova finestra) est pourtant bien patiné, sans erreur majeure, à peine une main d’Ellie à la réception du triple boucle lancé et un défaut de synchronisme dans une pirouette. Mais il manque un peu de piment au milieu de toute cette scrupuleuse application. Je préfère de loin leur programme libre (Si apre in una nuova finestra). La version Florence & the Machine de “Stand by Me” est rafraîchissante, et le patinage des Américains beaucoup plus vivant. On y sent même un brin d’émotion. Pas mal de négatif dans les GOEs car il y a eu de nombreux accrocs, mais rien non plus de rédhibitoire. Avec 131.07, Kam et Danny battent leur record personnel. Un total de 201.73 les place seconds de ce Skate America. Les deux programmes d’Alisa Efimova et Misha Mitrofanov ne révolutionneront pas l’histoire du patinage par couple, mais ils sont de bonne facture. Le court (Si apre in una nuova finestra), à la mode espagnole, est agréable à regarder grâce aux portés élaborés, mais ne les mène qu’au 5ème rang (63.05). Le “Je suis Malade” de leur libre (Si apre in una nuova finestra) par un groupe de télé-crochet sud-coréen, est musicalement navrant, mais le patinage des Américains est très solide, puissant et délicat en même temps. Ce couple s’est associé en 2023 et c’est une réussite. Il prend la 3ème place du libre (128.46) et de la compétition (191.51). Anastasiia Metelkina et Luka Berulava, transfuges russes qui patinent pour l’accueillante Géorgie, ne sont qu’à 8 dixièmes de Kam/O’Shea au score total. Pour pouvoir assumer un programme aussi kitsch que leur court (Si apre in una nuova finestra), mieux vaut être excellent. Excellent à la Savchenko/Massot. Ils ne le sont évidemment pas. Attention au moment où le kitsch bascule dans le ringard. 3èmes avec 68.64, je note un progrès le lendemain sur le plan créatif, mais pas dans l’exécution. “A Necessary End” de Saltillo est une mélodie sombre et mélancolique, qui reprend un dialogue du “Jules César” de Shakespeare. Le rythme lancinant de la musique demande du relief. Il y en a peu dans le libre (Si apre in una nuova finestra)des Géorgiens et surtout, ils commettent des erreurs coûteuses, dont une, étonnante, dans la spirale de la mort. Je ne trouve aucun lien entre leur thème et leurs costumes. Aurais-je raté une subtilité ? Ceci est d’autant plus dommage qu’il y avait là matière à créer un très bon programme, original et prenant. Ils sont, pour l’instant, à côté de leur sujet. Et néanmoins 4èmes de la compétition (191.43).
Kate Royan