Zum Hauptinhalt springen

Coucke et Goethals : l’affaire criminelle qui secoua la Belgique

Comment une affaire criminelle du XIXe siècle peu connue en Wallonie est-elle entrĂ©e dans la lĂ©gende en Flandre en tant qu’erreur judiciaire symbolisant l’oppression des nĂ©erlandophones ? Les accusĂ©s sont-ils  innocents comme le soutient le mouvement flamand ? Retour sur une  affaire mythique de l’histoire belge.

Dessin paru dans la presse en 1862 lors de l'exécution de deux membres de la bande noire, groupe de malfaiteurs possiblement lié à l'affaire Coucke et Goethals.

Une nuit agitée en province de Hainaut

L’affaire  Â« Coucke et Goethals » trouve ses origines durant la nuit du 23 au 24  mars 1860 dans les environs de Couillet, actuelle section de la ville de  Charleroi, qui n’est alors qu’un des nombreux nouveaux villages  ouvriers apparus aux abords des sites industriels et miniers wallons. En  ce dĂ©but de printemps, l’hiver semble  vouloir s’éterniser : il fait froid et humide, car il a beaucoup plu les derniers jours et le vent  souffle Ă  travers la vallĂ©e de la Sambre. Dans le noir, un groupe  d’hommes dont la silhouette ne se dessine qu’à la faible lueur des  haut-fourneaux visibles au loin s’approche d’une ferme isolĂ©e situĂ©e aux  abords du carrefour des Quatre Bras de Couillet. Cette ferme appartient  Ă  Scholastique Dussart, 74 ans, mieux connue dans les environs sous le  nom de «veuve Dubois ». Il est passĂ© 11 heures du soir.

Tout Ă  coup, le bris d’un carreau rompt le silence de la bâtisse endormie :  trois des hommes du groupe viennent d’entrer par effraction. Ils se  dirigent vers la chambre de la veuve qu’ils rĂ©veillent et empĂŞchent de  crier en lui bâillonnant la bouche d’une main. Celle-ci aperçoit ses agresseurs qui Ă©clairent la pièce Ă  l’aide d’une petite lampe peu  vaillante s’éteignant Ă  plusieurs reprises. Ils sont barbouillĂ©s de noir  et l’un d’eux attrape un jupon qu’il place sur son visage pour ne pas  ĂŞtre reconnu. Scholastique Dubois affirme qu’ils parlaient le flamand et  qu’ils s’adressaient Ă  elle dans un mauvais français.

Elle est  ensuite plaquĂ©e de force contre le sol et frappĂ©e Ă  l’aide d’un outil  identifiĂ© par les enquĂŞteurs comme Ă©tant une pioche. Ses agresseurs  rĂ©clament de l’argent. Le compte rendu du tĂ©moignage de la victime face  aux enquĂŞteurs est toujours conservĂ© dans les archives de la Cour d’Assises du Hainaut :

Ils m’ont prise de mon lit et m’ont  Ă©tendue sur le plancher Ă  cĂ´tĂ©, le plus petit Ă©tait armĂ© d’un petit fer  d’une charrue. Quand j’étais couchĂ©e Ă  terre près de mon lit, le plus petit a dit : « maintenant, vous ferez la charitĂ© aux Flamands, et en  mĂŞme temps, il m’a portĂ© un coup du petit fer dont il Ă©tait armĂ©. » [L’homme] voulut lui porter un second coup mais un de ses compagnons s’y  opposa en disant que la victime en avait assez.

Le bruit qu’ils font alerte la servante qui parvient Ă  s’enfuir et Ă  trouver de l’aide auprès d’un garçon d’écurie dĂ©nommĂ© Bastoche. Ce  dernier court vers la maison armĂ© d’une fourche et parvient Ă  mettre en fuite les agresseurs qui s’évaporent dans la nuit sans qu'ils aient pu ĂŞtre identifiĂ©s, laissant Ă  tout jamais le doute sur leur vĂ©ritable identitĂ©. 

Bien que suffisamment alerte pour subir un  interrogatoire, Scholastique Dubois souffre d’une blessure ouverte Ă   l’omoplate droite causĂ©e par le coup qui lui a Ă©tĂ© portĂ©. Elle affirme  avoir dĂ©jĂ  vu ses agresseurs sans pouvoir les reconnaĂ®tre et insiste sur le dĂ©faut de la lampe utilisĂ©e par les bandits. Suite Ă  l'infection de sa blessure, elle meurt de la gangrène le 31 mars 1860.

A la recherche des coupables

L’agression  de la veuve Dubois s’inscrit dans le cadre d’une sĂ©rie de vols et de  meurtres violents commis dans la rĂ©gion. Pour les habitants de Couillet  comme pour les magistrats, c’est l’affaire de trop. Fait exceptionnel, c’est le Procureur gĂ©nĂ©ral de la cour d’appel de Bruxelles, Charles Victor de Bavay, qui se rend sur place en personne et qui prend l’enquĂŞte en main. Celle-ci patine jusqu’au 5 avril 1860, date Ă  laquelle une lettre anonyme accuse les dĂ©nommĂ©s Jan Coucke, marchand de pommes de terre, Pieter Goethals, maĂ®tre piocheur au chemin de fer de Couillet et Henry Smet, vendeur de lĂ©gumes, d'ĂŞtre les auteurs du vol et du meurtre de Couillet. Si Smet est rapidement relâchĂ© en raison d’un alibi fiable, Coucke  et Goethals vont  petit Ă  petit ĂŞtre propulsĂ©s au centre de l’enquĂŞte, malgrĂ© les contradictions de leurs tĂ©moignages.

Des pièces à convictions, des témoignages et les contradictions de leur propre version des faits confondent Jan Coucke et Pieter Goethals

Il faut dire que les tĂ©moignages en leur dĂ©faveur ne manquent pas, comme celui d'un cabaretier qui les a vu quitter ensemble son Ă©tablissement et celui d'un voisin de table s’étonnant ensuite de les voir partir dans le sens opposĂ© de leur domicile. Divers Ă©lĂ©ments et pièces Ă  convictions viennent renforcer leur culpabilitĂ© : le remboursement de l’ensemble des dettes de Goethals, pourtant sans le sous, le lendemain du vol ; la dĂ©couverte d’un portefeuille ressemblant Ă  celui dĂ©crit par la veuve dans les habits de Coucke ; les contradictions de leur version des faits face aux enquĂŞteurs ; la dĂ©couverte d'une petite lampe ayant pour dĂ©faut de s'Ă©teindre rĂ©gulièrement chez Goethals. Les enquĂŞteurs pensent Ă©galement avoir retrouvĂ© l'arme du crime : Goethals possède chez lui une pioche qui « s’adapte  de la manière la plus parfaite aux coupures opĂ©rĂ©es sur les vĂŞtements de  la victime » et qui correspond Ă  la nature supposĂ©ment recourbĂ©e de  l’objet. Bien qu’il reste des zones d’ombres concernant le troisième voleur et un Ă©ventuel guetteur restĂ© en dehors de la ferme, le procès s’ouvre rapidement.

Un procès, deux accusés, une sentence unique

Le 20 aoĂ»t 1860 Ă   10 heures du matin, la Cour d’Assises de la province du Hainaut ouvre ses portes pour accueillir le procès de Coucke et Goethals. Une  trentaine de jurĂ©s provenant de Mons, Tournai ou Charleroi sont tirĂ©s au sort. Comme Coucke ne parle pas bien le français, langue d’usage dans les tribunaux, un interprète a Ă©tĂ© commis d’office tandis que les membres de la cour s'adressent directement Ă  Goethals. Après les  plaidoiries et le passage de soixante et un tĂ©moins Ă  la barre, le verdict tombe : les deux Flamands sont dĂ©clarĂ©s coupables de complicitĂ©  d’assassinat de la veuve Dubois et sont condamnĂ©s Ă  mort. TransfĂ©rĂ©s Ă   la prison de Charleroi en novembre 1860, Coucke et Goethals sont  guillotinĂ©s sur la place de la ville devant une foule immense. La  Gazette de Mons du 18 novembre 1860 titrera : « La justice des hommes  Ă©tait satisfaite. La double n’a demandĂ© que cinq minutes ».

Des accusés innocents et un procès injuste ?

Très  connue Ă  l’heure actuelle en Flandre, beaucoup moins en Wallonie,  l’affaire Coucke et Goethals semble ĂŞtre entrĂ©e dans la lĂ©gende de  l’histoire flamande. Il faut dire qu’à l’époque oĂą le mouvement flamand tente de donner sa lĂ©gitimitĂ© au nĂ©erlandais en Belgique, le fait que  deux hommes ne parlant pas ou peu le français aient Ă©tĂ© jugĂ©s dans cette  langue puis exĂ©cutĂ©s ne peut que susciter la controverse. En Wallonie,  le dĂ©bat autour de cette affaire se cristallisera sur la peine de mort. Le mouvement flamand ira jusqu’à forger la lĂ©gende de deux hommes  innocents incapables de se dĂ©fendre et victimes d’une erreur judiciaire.  La vĂ©ritĂ© est toutefois plus nuancĂ©e : si ĂŞtre jugĂ© en français a pu ĂŞtre un handicap pour Coucke et Goethals, les deux hommes ont bel et bien Ă©tĂ© assistĂ©s d’un traducteur et leur culpabilitĂ© reste probable, malgrĂ© les doutes et les quelques tĂ©moignages contradictoires rĂ©coltĂ©s après leur exĂ©cution. Quoi qu’il en soit, il faudra attendre 1893 pour que des procès soient enfin tenus en nĂ©erlandais et 1918 pour que le  dernier condamnĂ© de droit commun soit guillotinĂ© en Belgique.

Vous avez apprécié cette histoire ? Retrouvez d'autres articles (Öffnet in neuem Fenster) et abonnez-vous via le bouton "recevez mes newsletters" situé en bas de l'écran.

Bibliographie 

  • Gubin E., Nandrin J-P., « La Belgique libĂ©rale et bourgeoise. 1846-1878 » dans Dumoulin M. (dir), Nouvelle histoire de Belgique (vol.1), Bruxelles, Ă©ditions Racine, 2002, p.159.

  • Stengers J., Gubin E., Histoire du sentiment national en Belgique des origines Ă  1918. Le grand siècle de la nationalitĂ© belge, (vol.2) Bruxelles, Ă©ditions Racine, 2002, p. 89-90.

  • Didier L., La Bande noire (1855-1862). Le banditisme dans l'Entre-Sambre-et-Meuse et ses liens avec l'affaire Coucke et Goethals, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2013.