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Interview Nathalie Péchalat

© Kate Royan

Cinq fois championne de France avec Fabian Bourzat, deux fois championne d’Europe, deux fois troisième mondiale, Nathalie a marqué l’histoire de la danse sur glace française en lui apportant un vrai souffle d’originalité et de modernité. Elle a raccroché ses lames en 2014, après les championnats du Monde de Saitama au Japon. Depuis, elle officie au micro d’Eurosport en tant que commentatrice lors des plus grands évènements internationaux. Patinage Magazine l’a rencontrée lors des championnats d’Europe de Kaunas en janvier.

Patinage Magazine : Comment as-tu fais ton entrée à Eurosport ?

Nathalie Péchalat : La fin de ma carrière de patineuse a coïncidé avec le départ de Philippe Pélissier. J’ai été embauchée pour prêter main forte à Alban Préaubert qui avait pris sa retraite d’athlète de haut niveau avant moi.

P.M. : Quel lien existe entre une carrière de danseuse sur glace et les commentaires à l’antenne ?

N.P. : Aucun ! Ca n’a vraiment rien à voir. Nous n’avons aucun contrôle sur ce que l’on regarde. En tant qu’athlète, on apprend à gérer le stress, on a moyen d’influer sur le cours des choses et ce qu’on fait sur la glace a des effets à long terme. Un/e commantateur/trice doit coller à ce qu’il voit, mais quand la compétition est finie, il ou elle rentre chez lui et sa carrière se poursuit sans obligation de résultat si j’ose dire. Il n’y a pas de classement. Quand on commente, on est de l’autre côté de la barrière, avec la distance et le recul nécessaires. Tu peux être impacté/e émotionnellement, mais ce n’est pas toi qui va vivre avec le résultat.

P.M. : A t’on tendance à être plus indulgent avec des patineurs français, ou avec des patineurs que l’on connaît personnellement, quand on est au micro ?

N.P. : Il y a bien sûr un côté patriotique qu’on ne peut pas nier, mais ça ne veut pas dire qu’on est plus indulgent. Parfois c’est même le contraire ! Comme on les connaît mieux et qu’on a envie que ça marche bien pour eux, on est souvent plus exigeants dans nos attentes. Mais l’optique d’Eurosport c’est la bienveillance. Lorsqu’il y a des erreurs, des contre-performances, bien sûr on en parle, mais on essaie aussi de les expliquer. Il est hyper rare qu’il n’y ait rien à retenir d’un programme. On essaie toujours de souligner le positif. On essaie de décrypter au maximum la performance qui vient d’être proposée.

P.M. : Que penses-tu de la danse sur glace aujourd’hui comparé à ce que tu as connu ?

N.P. : Tout a changé ! Ou plutôt non, l’évolution amorcée après 2002 s’est poursuivie avec le nouveau système de jugement, l’entrée des twizzles, des pirouettes, tout ça date déjà de vingt ans ! Pour te donner un exemple, j’adore les thématiques des danses rythmiques. Cette saison, les années 80, c’est un régal. La discipline en général a été bien dépoussiérée. Après le règlement fait que, à part pour les couples du très haut niveau, la créativité n’est pas au top. Les patineurs jouent la sécurité avec des éléments qu’ils connaissent. Ils attendent par exemple que les meilleurs mondiaux créent un porté, ils savent que c’est un niveau 4, que ça rapporte des points, donc ils ne cherchent pas se singulariser, ils travaillent seulement la qualité d’exécution. C’est un peu paradoxal, mais il y a de plus en plus d’éléments cadrés, codifiés. Tu te retrouves avec une sorte de grille de lecture pour tout. Alors que dans les années 90, en danse, notamment quand j’ai commencé, on passait d’un programme à un autre et ça n’avait rien à voir, tout était différent, la composition, les émotions, l’atmosphère. A présent la discipline devient de plus en plus technique. Je ne dis pas que c’est un mal, au contraire. Juste qu’il existe à présent une uniformisation qui n’existait pas avant.

P.M. : La danse sur glace s’éloigne de plus en plus de la danse au sol ?

N.P. : Pas de la danse au sol stricto-sensu mais du ballroom, oui. De mon temps (rires) il y avait du ballroom dans toutes les danses imposées. A présent, on est plutôt dans des atmosphères. Atmosphère années 80, atmosphère danse contemporaine, danse classique, hip hop, etc.

P.M. : Serais-tu favorable à un retour aux danses imposées, voire même aux trois épreuves, danse courte, danse originale, danse libre ?

N.P. : Non, ou alors il faut distribuer trois médailles (rires). C’était la seule discipline dans laquelle il fallait trois épreuves pour établir un classement. La “petite médaille”, soyons franc, tout le monde s’en fout. Le grand public ne sait même pas que ça existe. Pour les athlètes, ça ne représente généralement pas grand chose non plus. Je ne suis pas du tout pour le retour à des danses imposées. Ce que j’aime aujourd’hui, c’est, par exemple : on prend la Silver Samba, le et la partenaire peuvent choisir les pas, en exécuter de différents. C’est vraiment la partie que je préfère. L’évolution est intéressante parce qu’on s’appuie sur des critères qui sont là depuis des décennies, mais on laisse liberté aux patineurs de les tourner à leur sauce. A tout prendre, je trouve souvent la danse rythmique plus intéressante que le programme libre. En guise de “libre” les patineurs ne font pas ce qu’ils veulent. Ils font tous plus ou moins la même chose en pensant que c’est la formule magique pour gagner. Il devrait y avoir quelques contraintes techniques dans la danse libre, de façon à faire bouger les lignes et à obliger les athlètes à se dépasser.

P.M. : On leur laisse de la liberté mais ils ne la prennent pas ?

N.P. : Oui, c’est un peu ça. Ils restent frileux car ils voient des choses qui fonctionnent et ont tendance à beaucoup s’en inspirer quand ce n’est pas simplement les copier. Après, est-ce que c’est la faute du jugement qui récompense toujours les mêmes choses ? Je ne sais pas.

P.M. : En tant qu’ancienne patineuse, pas en tant que journaliste, tu as des couples préférés ?

N.P. : Des chouchous ? Je peux le dire ? Vraiment ? (rires) En fait il y a plein de couples que j’adore, mais pour des raisons différentes. Tiens, par exemple, je trouve dingue la capacité à continuer de progresser de Charlène [Guignard] et Marco [Fabbri] alors qu’à leur âge ils sont plus proches d’une fin de carrière que du début. Même encore cette année, par rapport à la saison dernière, ils ont fait un bond phénoménal. Je suis totalement fan des portés de Chock/Bates. Gilles/Poirier… même quand je n’aime pas, j’adore ! (rires) Ils sont innovants, inattendus, et ça ne vient pas de leur style qui n’est pas spécialement original. D’une année à l’autre, on est transportés ailleurs, ce sont d’autres personnages, un autre univers. Lila [Fear] et Lewis [Gibson] plaisent à un public de plus en plus jeune et la discipline en a vraiment besoin.

P.M. : Tu as écris un livre qui est paru en 2020, “Les Bénéfices du Doute”. Tu te sers toujours du doute dans ta carrière de commentatrice ?

N.P. : Je m’en sers partout ! (rires) Il est dans la nature humaine de douter. Mais ce doute, il faut en faire un allié. Il faut le visualiser pour le maîtriser, exactement comme un mouvement sur la glace. J’ai appris ça quand je m’entrainais en Russie. On nous enseignait à ressentir un geste dans chaque fibre de notre corps. Si tu dis te dis que le doute est ton pote, si tu t’en fais une image précise, il cesse d’être un sentiment négatif, il est démystifié. Le doute ne me fait pas peur, il me rassure. C’est une composante logique de la pensée. Il ne s’agit pas non plus de flotter entre deux eaux trop longtemps, il y a un moment où il faut trancher. Tu discutes avec Monsieur doute, et ensuite tu prends une décision (rires).

P.M. : Parle moi de Premier de Cordée ! [Organisation qui propose des animations sportives pour les enfants malades, et qui œuvre à la sensibilisation au handicap]

N.P. : J’en ai été la marraine pendant dix ans et j’en suis devenue présidente récemment. L’enfance, la santé, le sport, ce sont des domaines qui me touchent et dans lesquels j’avais envie de m’investir. On se démène pour aller chercher des fonds, qui avant étaient essentiellement privés, mais j’essaie maintenant d’obtenir aussi des fonds publics pour développer un modèle économique pérenne. Il ne faut pas que l’on dépende que de certains partenaires disons, attitrés. On amène une pratique physique adaptée et entièrement gratuite au sein des hôpitaux pour tous les enfants, tous services pédiatriques confondus. Il est extrêmement intéressant de travailler à la fois avec le monde de la santé et celui du sport. On mesure l’impact de l’activité physique dans l’hôpital sur des enfants en train de se reconstruire ou du moins d’essayer. On ne peut pas tous être des sportifs de haut niveau, mais si l’on a une capacité à l’entraînement, de la résilience, de la résistance, la connaissance de son corps, il existe un côté bien-être mais on peut aussi guérir, quand c’est possible, un peu plus rapidement, se sentir mieux pendant les traitements, avoir un meilleur moral. En France, le concept sport pour la santé reste nouveau. On prescrit même du sport sur ordonnance ! Mais ce n’est pas facile, il faut former les médecins à cela. Tous ne sont pas non plus sportifs. On le voit très bien quand on arrive dans les hôpitaux. Certains sont déjà convaincus que le sport est un levier et ils sont hyper heureux de nous voir. Pour d’autres, il faut six ou huit mois avant de parvenir à les gagner à la cause. Il faut leur expliquer que ça ne leur coûte rien, que l’on gère tout, que l’on coordonne tout, que nos actions ne peuvent que faire du bien, qu’il y a un aspect santé mais aussi un aspect social très important. On n’est pas toujours reçus de la même manière…

P.M. : C’est en rapport avec les spécialités médicales ?

N.P. : Non, il n’y a pas de différence entre traumatologie ou oncologie par exemple, c’est vraiment une question de personnes. Mais une fois qu’on a réussi à les décider l’idée générale c’est : ah non vous ne partez pas, vous restez ! (rires) Le petit X va beaucoup mieux, la petite Y a retrouvé le sourire, la petite Z qui est pourtant condamnée arrive à oublier sa maladie quelques heures. On arrive ainsi à convaincre, petit à petit, un maximum de de personnel médical. Nous formons nous-mêmes nos intervenants, il y a des limites à respecter, dont le secret médical bien sûr, nous n’avons pas le détail des pathologies dont souffrent les enfants que nous accompagnons, ce n’est pas notre rôle de toute façon. On se focalise ainsi essentiellement sur notre mission, à savoir passer un bon moment avec les enfants, les accompagner.

P.M. : Tu as des enfants, est-ce difficile d’en voir d’autres malades ?

N.P. : Ce n’est jamais facile mais j’essaie de ne pas être personnellement investie. J’emmène souvent mes filles avec moi lors des journées “Evasion”. Elles voient ce qu’est la maladie et apprennent à relativiser. Et elles apprennent aussi qu’en étant malade, on peut quand même bouger, s’amuser. De leur côtés les enfants malades sont ravis de voir d’autres enfants de leur âge. Lors des journées Evasion, les enfants peuvent venir avec leur frère ou leur sœur. Je ne peux pas faire ceci ou cela parce que mon frère ou ma sœur et malade ? Si. On peut tout faire avec un peu de volonté et d’organisation. On en vient même à “grâce à mon frère ou ma sœur malade”, je me suis mis/e au sport.

P.M. : Dernière question : les J.O. 2024 !

N.P. : Il y a dix-huit mois, j’ai été nommée Présidente Déléguée du Club France. Le Club France est l’endroit où les athlètes viennent juste après avoir fini leurs épreuves. Il y rencontrent leurs coéquipiers, leur famille, les media, les partenaires promotionnels. Et nous allons innover en ouvrant le Club au grand public. Il y aura 25 000 personnes à un instant T avec des animations sportives. Nous serons positionnés à la Villette, à partir du 27 ou du 28 juillet jusqu’au 12 août. Nous avons à notre disposition 45 000 mètres carrés avec toutes les fédérations olympiques présentes. On pourra ainsi supporter nos athlètes, et voir toutes les épreuves en direct ! Ca va être génial !

Propos recueillis par Kate Royan

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