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Grand Prix de France Angers, danse libre : le choc !

© Alice Alvarez

Ce sont les mots d’Evgeniia Lopareva en conférence de presse après ce programme libre : “I’m in shock !”. La veille, dans la même salle après la conférence post danse rythmique, Geoffrey Brissaud me faisait remarquer : “L’an dernier, nous étions à gauche de l’estrade [médaille de bronze], aujourd’hui nous sommes à droite [en passe d’être médaillés d’argent]. L’an prochain, nous serons au milieu !” Il aura fallu seulement 24 h pour que le couple s’assoit à la place convoitée ! Leur danse libre, ciselée par un Guillaume Cizeron très inspiré, est l’une des plus originales de la saison, voire carrément la plus originale. Sur trois morceaux de BFRND (auteur des musiques des défilés Balenciaga), les deux premiers lents et prenants, le dernier contemporain-techno presque violent, Evgeniia et Geoffrey lancent les hostilités avec un porté stationnaire spectaculaire, puis un porté en ligne droite qui l’est tout autant. Twizzles de niveau 4, séquence sur un pied de niveau 3, pirouette et porté rotationnel niveaux 4, médiane niveau 3, les difficultés sont là. Elles passent sans effort apparent. Leurs carres sont d’une précision chirurgicale. Si vous avez besoin d’aide pour découper la dinde à Noël, un coup de lame et c’est réglé ! Le dernier élément chorégraphique en glissade écope d’un sec -4 du juge N°5 suite à un petit loupé, sans incidence majeure, tous les autres GOEs étant positifs. Avec 117.52, les Français gagnent le libre. Et la compétition (195.27) ! Mais ils ne le savent pas encore…

On imaginait mal Charlène Guignard et Marco Fabbri détrônés. On avait tort. Parfois, rien ne va. Hélas pour eux, c’est aujourd’hui. Marco dira plus tard avoir patiné le pire programme de ses quinze ans de carrière. Les Italiens se sont inspirés d’un de leurs programmes de gala pour jouer les “Robots”, sur une musique industrielle de Robotsboys, Kavinsky et Sebastian Tellier. Si l’idée est très bonne, car en rupture avec leurs programmes romantiques passés, elle est aussi très difficile à mettre en pratique. Les deux patineurs ont le talent et l’expérience pour relever le challenge, pourtant sur la glace d’Angers, ils accumulent les petites erreurs, qui mises bout à bout, vont sévèrement les pénaliser. Marco explique avoir épuisé quasiment toutes ses ressources pour assurer le porté combiné d’entrée de programme, et s’être perdu par la suite. Il tombe dans la circulaire, salué par un énorme “ooooh” navré du public. Les niveaux sont bons (twizzles, pirouettes et portés 4 ; circulaire et séquence sur un pied 3), mais les GOEs sont majoritairement à +2. Très bas pour les meilleurs techniciens actuels du circuit. Plus surprenant encore, les composantes ont du mal à atteindre 9.00, note qu’ils dépassent régulièrement. Il semblerait que ce programme ne plaise guère aux juges. Il est, certes, très particulier, avec une musique répétitive, une gestuelle saccadée, et des costumes venus d’une cyberplanète inconnue. Mais il est aussi extrêmement original et hyper créatif. Les Italiens plongent à la 5ème place de la danse libre (106.88), et décrochent quand même l’argent (189.08), grâce à la danse rythmique de la veille. Dire qu’ils sont déçus est un euphémisme… A l’annonce des notes de leurs principaux rivaux, la stupéfaction se lit sur les visages d’Evgeniia et Geoffrey. Ils finissent par sauter de joie, mais il n’y croient pas encore tout à fait. Le sentiment va perdurer jusqu’à la conférence de presse où, assis face aux journalistes, ils sont soudain un peu intimidés. Car, non seulement ont ils gagné leur premier Grand Prix, dans leur propre pays, mais ils sont aussi, dans la foulée, qualifiés pour la Finale de Grenoble ! Assis à leur droite, Charlène et Marco font des têtes d’enterrement. A leur gauche, les jeunes Américains Emily Bratti et Ian Somerville sont tout guillerets.

Eux non plus ne s’attendaient pas à un tel résultat. Présents, comme les Français, aux Skate Canada le week-end précédent, eux aussi ont enchaîné deux compétitions majeures et encaissé un gros décalage horaire. Mais à Halifax, ils étaient 9èmes ! Gagner 6 places leur dessine un sourire jusqu’aux oreilles. “Ne Me Quitte Pas” version Céline Dion n’est pas la musique la plus festive qui soit. “Tout peut s’oublier” chante t’elle. Effectivement, y compris ce programme ultra-générique, surjoué à l’Américaine à grands renforts de grimaces dramatiques. Leur talent et leur technique ne sont cependant pas remis en cause. Leur glisse, d’une très grande finesse, encore moins. 2èmes du libre (113.07) avec de bons niveaux 3 sur les principales difficultés et des niveaux 4 pour leurs portés, ils remportent leur première médaille en Grand Prix, le bronze, avec 185.88.

Les 4èmes (111.51) de cette danse libre sont les Tchèques Katerina Mrazkova/Daniel Mrazek. “The Architect” de Kerry Muzzey est une jolie partition, tendre, et même poignante. L’interprétation frise le théâtral par instant, sans heureusement tomber dedans. Présenter des twizzles de niveau 4 en 7ème élément est ambitieux, l’exercice étant délicat et énergivore. Les GOEs se répartissent équitablement avec une moyenne de +2 à +3, les composantes sont correctes. Mais ils écopent d’une déduction pour dépassement de temps. Tout ceci les mènent à la 5ème place finale (183.05). Allison Reed et Saulius Ambrulevicius terminent au pied du podium (110.75/185.24). J’aime beaucoup cette danse libre, vive, fraîche, sur trois morceaux du musicien belge Apashe. Tutu noir pour Allison, redingote pour Saulius : une écuyère et Monsieur Loyal. Des portés un peu trop alambiqués ne gâchent même pas l’ensemble, et la différence de niveau entre les deux partenaires est beaucoup moins visible que dans la danse rythmique. Leah Neset et Artem Markelov nous proposent une danse libre epic-pop sur des airs extraits des séries “Lucifer” et “How to Get Away with Murder”. Des trois couples américains présents, celui-ci est mon préféré, même s’il n’est pas le meilleur. Le programme est cohérent, bien patiné, sans surjeu. 6èmes (104.74) de ce segment, ils sont aussi 6èmes au final (176.60).

Natacha Lagouge et Arnaud Caffa auront décidément très bien réussi ce Grand Prix. Ils se paient aujourd’hui le luxe de battre les “vieux routiers” du circuit que sont Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac ! Les niveaux montent à 4 pour les twizzles et descendent à 2 pour la serpentine, tandis que la séquence sur un pied vaut 3 pour Natacha et 2 pour Arnaud. Il n’y a aucune erreur dans cette prestation toujours aussi pleine de joie et de vie. 7èmes du libre (104.10), ils sont 8èmes au total (169.99). Deux erreurs ont fait descendre Marie-Jade et Romain à la 8ème place du libre (103.31) : une dans les twizzles, une dans la pirouette. Leur programme “Western” est sympathique, il correspond très bien à leur style énergique et enjoué. Ce Grand Prix n’aura pas été un grand cru pour Marie Dupayage et Thomas Nabais (10èmes, 97.17/161.20). Sans doute encore déçus de leur prestation de la veille, ils vacillent dans les twizzles, ce qui coûte généralement cher. Cet élément est pourtant l’une de leurs grandes forces. Les GOEs ne montent pas, les composantes non plus. Pourtant le talent, la créativité et l’explosivité sont toujours là. Juste un mauvais passage, pas de quoi s’inquiéter. Eva Pate et Logan Bye, 8èmes la veille, perdent une place (97.29) pour terminer 9èmes (168.76). La “Rhapsodie Hongroise” de Liszt semble peu les inspirer. Malgré des efforts visibles, ils ont du mal à suivre l’accélération de la musique. L’ensemble a un petit parfum de kitsch involontaire, mais il reste plaisant à regarder.

Kate Royan

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