L’augmentation du trafic maritime tue les baleines. Les scientifiques savent désormais où des limitations de vitesse et des panneaux d’arrêt peuvent être utiles.
Les zones les plus dangereuses pour les baleines couvrent moins de 3 % de l’océan, ce qui suscite l’espoir que la réglementation du trafic maritime puisse remédier à la situation.
Par Warren Cornwall (Öffnet in neuem Fenster)

Imaginez qu’une autoroute soit soudainement construite dans votre quartier et que des camions chargés de marchandises – dont les chauffeurs ne peuvent pas voir les piétons – circulent devant les écoles, les cafés et les maisons, sans limite de vitesse ni panneau d’arrêt.
Selon les scientifiques, c’est à peu près le scénario auquel sont confrontées aujourd’hui les plus grandes baleines du monde. Une nouvelle carte de l’habitat de ces mammifères marins et des routes commerciales de plus en plus encombrées qui sont empruntées par d’énormes cargos montre pourquoi les recoupements entre les deux sont considérés comme l’une des principales causes de mortalité des baleines attribuable à l’humain. D’éventuels moyens d’améliorer les choses sont toutefois également mis en évidence.
« Nous avons certes des raisons de nous inquiéter, mais d’importants points positifs sont également à signaler », déclare Briana Abrahms (Öffnet in neuem Fenster), professeure de biologie à l’Université de Washington et auteure principale d’un nouvel article (Öffnet in neuem Fenster) publié dans la revue Science, qui présente les résultats.
Il est pratiquement impossible de savoir combien de baleines sont blessées ou tuées par des navires, mais la Commission baleinière internationale a recensé près d’un millier (Öffnet in neuem Fenster) de collisions au cours des deux derniers siècles, la grande majorité ayant eu lieu depuis les années 1980. Ce chiffre ne représente d’ailleurs sans doute qu’une petite fraction du carnage, car de nombreux navires sont si massifs que l’équipage ne remarque pas forcément les collisions avec des baleines. Un navire de croisière est notamment arrivé à New York au début de l’année avec le corps de 13 mètres de long d’un rorqual boréal menacé d’extinction (Öffnet in neuem Fenster) dans sa proue.
Compte tenu de l’intensification de l’activité du transport, les accidents augmenteront vraisemblablement, à moins que quelque chose ne change. Le trafic maritime a quadruplé depuis le début des années 1990 (Öffnet in neuem Fenster) et devrait plus que tripler (Öffnet in neuem Fenster) entre 2015 et 2050.
Pour avoir une idée plus précise des endroits où les navires et les baleines sont le plus susceptibles d’entrer en collision, Briana Abrahms et ses collègues ont conçu une carte du trafic mondial. Ils ont utilisé quelque 435 000 emplacements répertoriés pour quatre des plus grands cétacés – baleine bleue, cachalot, rorqual commun et baleine à bosse – afin de produire également un modèle des déplacements de chacune de ces espèces. L’équipe a utilisé aussi les signaux radio transmis par plus de 175 000 grands navires au cours des cinq dernières années.
En comparant les trajectoires des navires et des baleines, elle a ciblé des points névralgiques, dont la plupart se trouvent le long des côtes et à certains endroits en pleine mer, quoique la situation varie quelque peu d’une espèce à l’autre.
L’océan Indien, le côté ouest de l’océan Pacifique Nord (près de l’Asie) et la mer Méditerranée enregistrent le pourcentage de zones dangereuses le plus élevé pour les quatre espèces. Les autres zones à risque comprenaient le côté est de l’océan Pacifique Nord (le long des côtes américaines et canadiennes), l’océan Atlantique, l’océan Pacifique Sud et la mer de Chine méridionale.
Certaines zones problématiques plus localisées étaient déjà connues, comme le large du Sri Lanka et le côté est de l’océan Pacifique Nord (baleines bleues), le large du Panama et la mer d’Arabie (baleines à bosse), les îles Canaries (cachalots) et la mer Méditerranée (rorquals communs et cachalots). La nouvelle recherche a également mis en évidence certains endroits qui n’avaient pas été remarqués auparavant, notamment les Açores et de longues portions des côtes d’Amérique du Sud et d’Afrique australe.
Cette liste donne l’impression qu’il y a peu d’endroits où ces baleines peuvent échapper aux navires. Et c’est vrai. Le transport maritime couvre 92 % des aires de répartition des baleines et, dans 15 % des océans du monde, on observe des chevauchements de trafic comparables à ceux de la côte californienne, où les collisions avec les navires présentent un risque sérieux (Öffnet in neuem Fenster), selon le personnel de recherche.
Les scientifiques soulignent cependant qu’il serait possible de mettre en place des mesures de protection efficaces. En effet, ils ont constaté que tous les endroits à plus haut risque (dans le premier point de pourcentage des risques de collision) couvrent moins de 3 % de la superficie des océans. Et la plupart d’entre eux se trouvent dans les eaux côtières relevant des pays, qui pourraient, en théorie, agir sans avoir à mener de longues négociations internationales et à relever le défi de l’application des règles en haute mer.
« Il est rare que les intérêts industriels et les résultats en matière de conservation soient aussi compatibles, estime Heather Welch (Öffnet in neuem Fenster), scientifique à la National Oceanic and Atmospheric Administration et coauteure de l’étude. Souvent, les activités industrielles doivent être fortement limitées pour atteindre les objectifs de conservation, et inversement. Dans ce cas-ci, on pourrait réaliser de formidables avantages sur le plan de la conservation des baleines à des coûts relativement bas pour l’industrie du transport maritime. »
Les scientifiques, hélas, ne calculent pas le coût de ce type de réglementation. Dans les faits, il serait difficile d’évaluer combien il en coûterait sur le plan économique pour mieux protéger les baleines.
Les scientifiques évoquent plusieurs mesures susceptibles d’améliorer la situation, comme la limitation de la vitesse des navires ou la création de zones d’interdiction dans les endroits très fréquentés par les baleines. Les exigences de vitesse imposées en 2008 le long de la côte atlantique, aux États-Unis, dans les zones fréquentées par les baleines noires, une espèce en voie de disparition, devaient réduire le risque de collisions mortelles de 80 à 90 % (Öffnet in neuem Fenster). Parallèlement, Whale Safe (Öffnet in neuem Fenster), une organisation fondée par un contingent de recherche de l’Université de la Californie à Santa Barbara, surveille la vitesse des navires le long des côtes américaines et s’appuie sur les résultats ainsi obtenus pour faire pression sur les sociétés maritimes afin qu’elles mettent en place des limites dans les habitats importants pour les baleines.
Il pourrait être difficile de faire accepter de telles limites dans le monde sensible à l’évolution des coûts du transport mondial de marchandises, en particulier dans les régions où les personnes qui se portent à la défense de l’environnement ont moins d’influence.
Mais il y a maintenant au moins une carte qui permet de savoir où l’on pourrait placer des panneaux d’arrêt et des limitations de vitesse.
Nisi et coll. Ship collision risk threatens whales across the world’s oceans. Science, 21 novembre 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/12/increasing-ship-traffic-kills-whales-scientists-now-know-where-speed-limits-and-stop-signs-can-help/ (Öffnet in neuem Fenster)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Öffnet in neuem Fenster). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Öffnet in neuem Fenster), la Durabilité à l’Ère Numérique (Öffnet in neuem Fenster) et le pôle canadien de Future Earth (Öffnet in neuem Fenster).