Nous congelons nos aliments à une température trop basse. Une légère augmentation de la température de congélation permettrait d’éviter l’émission de 17 millions de tonnes de CO2.
La norme internationale pour la congélation des aliments est de -18 °C, une température qui entraîne des émissions élevées. Et si on réglait nos congélateurs à -15 °C?
Par Emma Bryce (Öffnet in neuem Fenster)
Les légumes dans votre congélateur peuvent venir de très loin. On les a transportés en maintenant une chaîne du froid à la température constante de -18 °C, ce qui constitue la norme pour la congélation des aliments à l’échelle mondiale. Toutefois, dans un rapport publié à l’occasion de la COP28 par une vaste équipe d’experts internationaux de la chaîne du froid, on indique que cette température pourrait s’avérer inutilement basse et énergivore en regard de l’objectif poursuivi.
On y avance que l’augmentation de cette température de seulement trois degrés permettrait d’éliminer une quantité d’émissions équivalente à celle produite par 4 millions de voitures chaque année.
La congélation des aliments est essentielle pour nourrir la population mondiale en pleine croissance. Qui plus est, si nous trouvions un moyen de réfrigérer les fruits et légumes gaspillés chaque année – soit 12 % – et ainsi d’empêcher leur détérioration, nous pourrions nourrir environ 1 milliard de personnes de plus. Pourtant, la chaîne du froid s’apparente à une impasse sur le plan climatique. D’un côté, en conservant les aliments, la congélation permet d’éviter une grande partie des émissions qui résulteraient de l’altération et du gaspillage des produits frais. D’un autre côté, cette pratique, qui donne lieu à une immense consommation d’énergie, contribue elle-même aux émissions mondiales.
Selon Yosr Allouche, une des autrices du rapport, la « température de référence » de -18 °C a été établie arbitrairement comme norme internationale au milieu 19e siècle. Cette température correspond à 0 °F, « probablement un chiffre rond, facile à retenir, explique Mme Allouche, directrice générale de l’Institut international du froid, une organisation intergouvernementale indépendante qui rassemble des données scientifiques et techniques dans tous les domaines du froid. Quoi qu’il en soit, cette température s’est avérée sûre pour la conservation de denrées alimentaires de qualité. »
Dans cette optique, l’équipe de recherche s’est posé la question suivante : avons-nous vraiment besoin que la chaîne du froid soit… aussi froide? Dans leur rapport sommaire intitulé Three Degrees of Change, Mme Allouche et ses collègues analysent les avantages de l’augmentation de la température de congélation à -15 °C, ainsi que les coûts liés au maintien de cette température à -18 °C.
Dans ce dernier cas, la chaîne du froid se traduit par une consommation de 484 térawattheures (TWh) par an dans le monde, affirment les auteurs. Il faut savoir qu’un térawattheure équivaut à la consommation annuelle d’électricité de 150 000 personnes résidant dans l’UE (Öffnet in neuem Fenster). Compte tenu de l’augmentation de la population mondiale et de l’expansion des chaînes frigorifiques vers d’autres régions du monde, cette consommation d’énergie devrait s’accroître considérablement.
Quelle serait l’incidence d’une hausse de la température de congélation à -15 °C? L’industrie pourrait ainsi réduire sa consommation d’énergie de 25 TWh par an, d’après le rapport. C’est l’équivalent de deux fois la consommation d’électricité au Kenya. Surtout, ce changement permettrait d’éviter l’émission de 17 tonnes métriques de gaz à effet de serre, une quantité comparable à celle générée par quatre millions de voitures. « L’augmentation de la température de congélation des aliments de trois degrés procure un gain énergétique important », souligne Mme Allouche.
Cette hausse relativement modeste de la température éliminerait aussi la nécessité de construire des installations éoliennes d’une capacité totale de 11,4 gigawatts pour alimenter la chaîne du froid en expansion, ce qui représenterait un investissement de 15 milliards de dollars (on a supposé que cette électricité devrait être produite à partir de sources renouvelables).
Du reste, Mme Allouche soutient que cet abaissement de la température ne présenterait aucun risque pour les aliments. « La salubrité des aliments ne pose pas problème tant qu’ils sont conservés à une température inférieure à -12 °C, seuil en deçà duquel cesse toute croissance microbienne ». Le rapport note par ailleurs que pour chaque degré en dessous de -12 °C, la consommation d’énergie augmente de 2 % à 3 %.
L’augmentation de la température de la chaîne du froid à l’échelle mondiale apparaît donc comme une solution évidente, un petit changement aux avantages potentiels considérables. Toutefois, on souligne qu’il est nécessaire de poursuivre les recherches, en particulier sur la qualité nutritionnelle des aliments congelés selon la nouvelle norme, avant d’apporter ce changement important (Öffnet in neuem Fenster) à grande échelle.
Certaines études montrent déjà que certains aliments, comme les épinards, peuvent conserver leurs qualités nutritionnelles à -15 °C pendant trois mois. Cela dit, il faudra d’autres données sur les différents types de produits frais. Les recherches actuelles indiquent aussi que la manière dont les aliments sont manipulés avant leur congélation peut altérer leur qualité à des températures inférieures à zéro. Il faut donc, selon Mme Allouche, mener des études plus approfondies sur les pratiques afin de garantir l’obtention de résultats optimaux à -15 °C.
Au sein de la chaîne d’approvisionnement mondiale, la température de -18 °C est une norme bien ancrée. Pour la changer, il faudra faire évoluer les mentalités et les politiques partout dans le monde. Mme Allouche estime que l’adoption d’une réglementation internationale « est le seul moyen d’établir une nouvelle norme mondiale ». Et pour convaincre les décideurs politiques, il faut effectuer plus de recherches.
C’est d’ailleurs l’objectif de Mme Allouche et de son équipe, qui entendent transformer leur résumé sommaire en un rapport qui sera publié en septembre 2024. « Ces résultats nous motivent à étudier plus amplement cette petite différence de trois degrés », conclut Yosr Allouche.
Allouche et. coll. « Three Degrees Of Change: Frozen food in a Resilient and Sustainable Food System (Öffnet in neuem Fenster) ». Institut international du froid; Centre for Sustainable Cooling. 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/01/were-over-freezing-our-food-turning-up-the-temperature-slightly-could-avoid-17-mt-of-co2/ (Öffnet in neuem Fenster)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Öffnet in neuem Fenster). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Öffnet in neuem Fenster), la Durabilité à l’Ère Numérique (Öffnet in neuem Fenster) et le pôle canadien de Future Earth (Öffnet in neuem Fenster).