Percée scientifique en matière de sols intelligents, auto-irrigants et autofertilisants
Les hydrogels pouvaient déjà capter la vapeur de l’air pour arroser les plantes. Aujourd’hui, des scientifiques sont en mesure d’y intégrer des engrais à libération lente.
Par Emma Bryce (Öffnet in neuem Fenster)
Les sols auto-irrigants et autofertilisants pourraient devenir une réalité avant longtemps. Des scientifiques ont mis au point de petites billes appelées hydrogels, capables de capter l’eau dans l’air ambiant et de l’utiliser pour irriguer le sol tout en fournissant des nutriments aux plantes environnantes.
L’étude publiée dans ACS Materials Letters (Öffnet in neuem Fenster) est la dernière étape d’un projet de recherche mené depuis plusieurs années à l’Université du Texas, à Austin, pour faire progresser le développement des hydrogels. Les gels sont constitués d’une matrice de polymères « hygroscopiques », c’est-à-dire qu’ils absorbent l’eau – dans ce cas, la vapeur d’eau contenue dans l’air – en se gonflant. Les hydrogels sont ensuite conçus pour libérer cette charge liquide en réaction à certains stimuli, notamment des changements dans le pH du sol ou la température.
Des recherches antérieures en laboratoire ont déjà montré avec succès (Öffnet in neuem Fenster) que les gels peuvent capter l’humidité de l’air même dans des conditions de sécheresse, ce qui pourrait faciliter l’agriculture en milieu aride. Ce qui est nouveau dans cette initiative de recherche, c’est l’ajout d’engrais calciques à la matrice de polymères des gels. « Cette fonction intégrée des hydrogels est sans précédent », estime Guihua Yu, professeur de science et d’ingénierie des matériaux et de génie mécanique à l’Université du Texas, à Austin, et auteur principal de la recherche.
Pour évaluer l’efficacité des hydrogels version 2.0 dans les sols, l’équipe de recherche a mené une série d’expériences, dont la première consistait à mesurer le débit de libération de l’eau et de l’engrais. Les scientifiques ont insufflé à l’air différents taux d’humidité allant de 30 % à 90 %. Dans des conditions d’humidité élevée, l’équipe a constaté que les gels, en plus d’absorber une quantité substantielle de vapeur d’eau, en libéraient progressivement la quasi-totalité au cours d’une période de quatre heures, un phénomène déclenché par des températures de 40 °C.
Ensuite, l’équipe a voulu savoir dans quelle mesure les gels permettaient de fournir efficacement les engrais. Il s’avère que l’engrais calcique utilisé est également hygroscopique, c’est-à-dire qu’il augmente la capacité d’absorption d’eau des gels. Ainsi, lorsque les gels entrent en contact avec de la vapeur d’eau, l’engrais hydrophile se dissout à l’intérieur, ce qui les hydrate davantage. La question cruciale restait à savoir s’il était possible de réguler la libération de l’engrais dissous, ou si celui-ci finirait par jaillir d’un seul coup, un problème associé à la surfertilisation des terres agricoles et à la pollution de l’environnement en aval.
L’équipe a testé plusieurs scénarios d’irrigation jusqu’à ce qu’elle trouve la solution idéale : à une humidité relative de 90 %, mais avec une irrigation moins fréquente et déclenchée par la hausse des températures, l’engrais contenu dans les gels s’échappe en petites quantités chaque jour. En fait, des expériences ont montré qu’après 16 jours de ce scénario, seulement 17 % de l’engrais s’était infiltré dans le sol. En revanche, lorsque les gels étaient alimentés plus régulièrement en eau, l’engrais s’infiltrait plus rapidement dans le sol, bien qu’aucun des scénarios n’ait libéré plus de 60 % d’engrais au cours des 16 premiers jours.
Cela montre qu’il est possible de rationner le flux de nutriments des hydrogels vers la plante et de limiter les répercussions d’un excès d’engrais sur l’environnement en aval.Selon l’équipe de recherche, sous des températures plus chaudes, les gels passent d’un état hydrophile (qui attire l’eau) à un état hydrophobe (qui repousse l’eau) et commencent à se rétrécir, ce qui réduit lentement la taille des pores et les points de sortie de l’engrais dissous, un mécanisme qui ralentit la libération de l’engrais au fil du temps.
Mais comment toute cette théorie s’est-elle appliquée à de vraies plantes? Lors de plusieurs expériences sur des graines de radis en germination, l’équipe de recherche a constaté que les plantes avaient plus de chances de survivre lorsqu’elles étaient cultivées dans un sol enrichi d’hydrogels que dans un sol sablonneux et pauvre en nutriments. C’est la preuve que les hydrogels libèrent efficacement de l’eau et des nutriments pour les plantes.
Et ce n’est pas tout. Les sols comprenant des hydrogels ont aussi permis de faire pousser des plantes plus saines et plus résistantes. En effet, les plantes cultivées dans des sols avec hydrogels à des taux d’humidité moyens et élevés avaient des tiges beaucoup plus longues et davantage de bourgeons que celles qui poussaient dans des sols sans hydrogels. La longueur moyenne des tiges des plantes cultivées à 90 % d’humidité relative avec des hydrogels était supérieure de plus de 3 cm.
Il reste de nombreuses recherches à faire avant de pouvoir utiliser les hydrogels sur le terrain, mais grâce à l’apport supplémentaire en nutriments, cette réalité n’est peut-être plus si lointaine. Alors que l’agriculture exerce une pression croissante sur les ressources en eau menacées, tout en polluant ces mêmes ressources avec des engrais, les hydrogels constituent une réponse potentielle à cette double menace.
« Le principal avantage d’incorporer ces gels dans le sol est la réduction de la consommation d’eau et d’engrais par les agriculteurs », explique Guihua Yu, ajoutant que son équipe et lui prévoient de commencer bientôt les essais sur le terrain. « Notre prochaine étape consistera à exploiter la biomasse naturellement abondante pour rendre les gels plus rentables et biodégradables. »
Yu et coll. Self-Irrigation and Slow-Release Fertilizer Hydrogels for Sustainable Agriculture. (Öffnet in neuem Fenster) ACS Materials Letters. 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/07/a-scientific-leap-towards-smart-self-watering-self-fertilizing-soils/ (Öffnet in neuem Fenster)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Öffnet in neuem Fenster). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Öffnet in neuem Fenster), la Durabilité à l’Ère Numérique (Öffnet in neuem Fenster) et le pôle canadien de Future Earth (Öffnet in neuem Fenster).