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Interview Léa Serna : Etre enfin soi-même !

A peine sortie du Kiss & Cry après un excellent programme libre des championnats de France, Léa est tirée au sort par la contrôle anti dopage. Elle répond à mes questions, tout en engloutissant de larges quantités de liquide !

© Alice Alvarez
© Alice Alvarez

Patinage Magazine : Comment se passe ta saison ?

Léa Serna : On va dire que j’ai eu un début assez mitigé. J’ai subi une grosse blessure fin septembre : une déchirure du ligament de la cheville. C’était la raison de mon absence aux Masters de Villard de Lans. Avec l’accord des médecins, j’ai décidé de continuer à travailler quand même. On savait qu’il y avait un risque que cela empire, mais on était vraiment en tout début de saison, et il valait mieux tenter pour que je ne prenne pas trop de retard, quitte à réduire les entraînements. Je n’ai recommencé à passer le triple Lutz qu’une semaine avant le Skate America. Mes quatre premières compétitions étaient en demi-teinte parce que je n’avais pas la forme nécessaire pour assurer une prestation aboutie. J’ai pu recommencer à m’entraîner à fond seulement une semaine avant la Coupe de Varsovie, du coup j’étais un peu courte niveau cardio. Mentalement quand on est blessé, on est un peu dans le “down”. J’ai eu un mois et demi compliqué, avec beaucoup de frustration. Mes sauts, je les ai, mais je n’arrivais pas à les passer en compétition à cause de cette blessure. Dans ma tête, du moment que je les réussissais à l’entraînement, je devais les réussir aussi en compétition. Mais non, ce n’est pas si facile que ça. Stress, fatigue, froid… Maintenant tout va bien et je vois que le travail paie. A Zagreb, il y a deux semaines, j’ai réalisé un bon programme court, le libre était bien aussi, et j’ai obtenu à peu près les mêmes scores qu’ici à Annecy. Pour moi, ce sont de bons scores, je suis très contente. Je me rends compte que je recommence à être fiable. Quand je travaille correctement et dans le bon sens, ça paie vraiment (rires). Par rapport au début de saison, j’ai été capable de renverser la tendance et j’en suis très contente ! De plus, j’ai réussi à continuer de m’entraîner sans aggraver ma blessure. Je connaissais les risques, donc c’est toujours agréable au bout du compte de se dire qu’on a pris la bonne décision ! On ne le sait qu’après, mais c’est un soulagement !

P.M. : Tu as un style musical favori ? Personnellement, j’aime beaucoup quand tu patines sur du rock.

Léa : J’adore mon libre de cette année ! Pour être honnête, j’aime bien patiner sur du classique aussi. Mais j’ai plutôt un patinage puissant, et j’avais envie d’arrêter de faire comme les autres. En tant que femme, on nous conseille souvent de choisir des musiques chantées par une femme. J’en ai discuté avec Gabriella Papadakis, qui a chorégraphié mon libre, et elle était d’accord avec moi : il faut arrêter d’écouter ce que les gens nous disent, une fille doit patiner sur ceci ou cela, c’est mieux pour elle, mieux vu par les juges, même nos coaches finissent par dire la même chose. Non ! Maintenant j’ai de l’expérience, je sais ce qui me convient ou pas, et j’ai envie de patiner sur un truc qui bouge. Je voulais quelque chose sur lequel je puisse patiner avec mon “mood” du moment. La dernière partie de mon libre sur Exogenesis de Muse me permet de l’adapter à mon humeur du jour. Si je suis énervée, je vais la patiner énervée ! (rires) Tu comprends ce que je veux dire ?

P.M. : Oui tout à fait !

Léa : Si j’ai envie d’être sexy, je serai sexy. Si j’ai envie d’être dans le drame, ça marchera aussi. Sur une musique joyeuse, tu te dois de ne pas faire la gueule ! Sur une musique triste, si tu souris, tu es à côté de la plaque. Là, je peux donner exactement le caractère que je veux à cette musique. Je suis dans ma pirouette et je me dis, bon, aujourd’hui, qu’est-ce que j’ai envie d’être ? C’est génial de pouvoir modifier l’interprétation. On patine tous les jours sur la même chose pendant une saison. Pour moi il est super intéressant de trouver des variations, ça évite que je me lasse. C’est sympa de pouvoir “s’écouter” quand on patine, d’exprimer ce qu’on ressent au fond de soi. On nous dit qu’il faut savoir transmettre des émotions, mais quand ce ne sont pas celles qui sont au fond de toi, tu fais comment ? Tu tombes vite dans le théâtre et l’exagération. Pour progresser j’ai décidé de passer par une musique qui me permet d’être qui j’ai envie d’être dans l’instant. Tiens, si j’ai envie d’être insolente, je serai insolente ! (rires) Toute ma vie, on m’a dit : il ne faut pas que tu sois comme ci, ou comme cà. Ca a fini par me soûler ! Je serai comme j’ai envie d’être, point barre. Déjà, quand j’étais plus jeune, je n’étais pas d’accord avec le principe d’être autre chose que moi. On me répétait que j’étais arrogante, aigrie. Evidemment, puisque qu’on me demandait d’être le contraire de moi. J’en ai eu marre, et j’ai choisi d’être qui je voulais être sur la glace. Je pratique un sport qui possède une dimension artistique, c’est justement ce qui permet de montrer ce qu’on est. Sur la glace, tu es toute seule, ceux qui te conseillent ne sont pas avec toi, donc sois qui tu veux !

P.M. : La suite de ta saison ?

Léa : Je vais prendre de très longues vacances : trois jours !! (rires). Demain nous avons le gala de Vaujany, et ensuite je m’arrête un peu pour les fêtes, pour souffler et passer du temps avec ma famille. Ensuite, je me remets au travail dans l’optique des Euros. Ces championnats vont arriver très vite et je ne veux pas perdre ma bonne dynamique.

P.M. : Comment se passe ton entraînement à Oberstdorf ?

Léa : (avec un sourire gigantesque et les yeux brillants) C’est absolument super, vraiment ! Mon coach [Michael Huth, ancien entraîneur de Carolina Kostner] est génial. Humainement, j’ai rencontré quelqu’un de fantastique. Je ne te dirai pas que je n’ai pas de pression, je m’en mets toute seule à travers mes attentes et celles de mon coach, mais ce n’est pas quelque chose de pesant. C’est au contraire très sain, dans le sens où il ne me dit jamais, avant les compétitions : il faut absolument que tu réussisses ceci ou cela. Il est plutôt du style à dire : Léa, vole comme un oiseau, fais toi plaisir sur la glace ! Il est toujours hyper positif. Il se fâche d’avantage si je massacre ma séquence de pas que si je rate un saut. Il veut qu’on se donne à fond, qu’on n’ait pas peur, qu’on s’exprime. Je revis vraiment là-bas. On forme une super équipe, composée de beaucoup d’adultes. Notre sport est à maturité précoce, on est souvent confrontés à de très jeunes patineurs, et on n’a pas les mêmes problèmes qu’eux. J’ai eu quatorze ans moi aussi, je pouvais enchaîner le travail des heures entières sans avoir mal nulle part, sur le mode OK, la vie c’est trop facile ! Je suis passée à autre chose. Dans notre groupe, le minimum d’âge est 19/20 ans, ce ne sont plus des enfants. C’est super agréable. On n’est plus confrontés aux mêmes choses que les très jeunes. On le dit tous, depuis que nous sommes arrivés à Oberstdorf, on a tous retrouvé notre passion grâce à notre coach. C’est le plus beau cadeau qu’il pouvait nous faire. En plus, moi qui adore la neige, je suis servie ! (rires) L’endroit est magnifique. L’Allemagne n’aurait pas été mon premier choix parce que j’adore la France, mais les choses se passent tellement bien ! Je ne regrette pas une seconde. Avec l’arrivée de Nicole [Schott, toute fraîche retraitée de la compétition fin 2023, et qui a chorégraphié son programme court] nous avons maintenant une présence féminine, c’est vraiment un plus ! Non, franchement, je suis super heureuse à Oberstdorf !

Propos recueillis par Kate Royan

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