Interview Malika Tahir
Lorine Schild a réalisé de très beaux championnats d’Europe en janvier dernier, décrochant la cinquième place. Rencontre avec Malika Tahir, qui l’entraîne depuis ses premiers pas sur la glace.
Solène : Quel bilan tirez-vous de ce début de saison pour Lorine ?
Malika : Le bilan ne peut être que positif. Lorine a excellé lors des quatre compétitions majeures auxquelles elle a participé : les deux Grands Prix, les Championnats de France, et les Championnats d'Europe. Les deux Challengers de début de saison et les Masters ont servi de compétitions de réglage. Nous avons consacré beaucoup d'efforts à peaufiner les programmes, notamment en termes de vitesse. Nous avons également ajouté de nouveaux éléments dans le programme libre par rapport à l'année précédente. Je suis donc très satisfaite, et cela a permis à Lorine d'aborder les Championnats d'Europe avec confiance.
Solène : Avez-vous fixé des objectifs précis pour cette saison ?
Malika : Non, ma philosophie d'entraînement n'a jamais été axée sur la fixation de classements précis. Le discours que je tiens à mes athlètes, et que j'encourage à adopter dans leur mentalité, est centré sur la performance : faire de leur mieux, accomplir leur travail. Le résultat final, il sera ce qu'il sera. Si mes athlètes se fixent des objectifs de résultats, cela vient d'eux. Ma priorité est qu'ils soient satisfaits de leur performance et de leur engagement, plutôt que d'un résultat spécifique.
Solène : Depuis combien de temps entraînez-vous Lorine ?
Malika : Cela fait maintenant 14 ans. Sa grande sœur, Maëlle, patinait. J’ai suggéré à ses parents que Lorine commence également le patinage. Lorine en avait envie, mais elle avait décidé de commencer à l'âge de 4 ans, et c'est exactement ce qu'elle a fait. Elle était déterminée !
Solène : Vous souvenez-vous de ses premiers pas sur la glace ? Avez-vous immédiatement perçu du potentiel chez elle ?
Malika : Pas immédiatement, du moins pas dans les premières phases d'apprentissage. Cependant, dès ses premières compétitions nationales, en catégorie avenir, son potentiel s’est affirmé. Je percevais chez Lorine l’âme d’une véritable compétitrice : elle ne renonçait jamais. Elle se montrait également très sérieuse et travailleuse. Je pouvais la laisser seule sans avoir besoin de constamment la surveiller ; elle s'entraînait déjà en toute autonomie. Sa détermination était inébranlable ; elle n'a jamais cessé de travailler dur. J'ai toujours cru en son évolution, grâce à son acharnement au travail. C'était quelque chose que je pouvais observer au quotidien durant les entraînements. Lorine a également sa capacité à rester concentrée dans sa bulle, sans se laisser distraire, et son goût pour la compétition. Sur le plan technique, sa taille est devenue un atout. Elle a un côté “chat” et quand certains éléments ne sont pas techniquement parfaits, elle ne va pas lâcher et elle parvient à les réceptionner.
Solène : Que représente le titre de championne de France, pour vous et pour Lorine ?
Malika : Pour Lorine, ce titre était un objectif depuis deux ans. C'est donc une forme de concrétisation. Cette année, je la trouve particulièrement forte mentalement ! Je m’étais déjà fait cette réflexion lors du Grand Prix d'Angers. Au moment du programme libre, l'ambiance dans la patinoire était électrique, et elle a relevé le défi avec brio. Lors du Championnat de France Elite, elle avait une petite avance après le programme court, mais rien n'était joué. Elle a su garder son calme et performer. C'est une grande fierté pour elle, comme pour moi.
Solène : Quelles sont les réussites de Lorine dont vous êtes le plus fière ?
Malika : Je pense à sa victoire au Festival Olympique de la Jeunesse Européenne en 2022. Lorine était si heureuse ! Avant la compétition, j’espérais un top 10, mais elle s’est classée deuxième du programme court, puis à l’issue du programme libre, elle a remporté l'or. L'atmosphère était fantastique, avec une équipe de France nombreuse, avec la présence des skieurs et biathlètes notamment. Ce souvenir reste gravé dans ma mémoire. Sur le plan humain, un autre moment fort a été lorsqu'elle m'a remerciée sur le Kiss and Cry lors des championnats de France cette année. C'était un remerciement pour l'avoir menée à ce résultat, exprimé de manière naturelle et sincère. Elle sait exprimer sa gratitude de façon simple mais touchante. Je me souviens aussi d'un championnat de France minime ou avenir, il y a longtemps, où je n'avais pas pu être présente en raison d’un problème de santé. Lorine a gagné et est venue me voir peu de temps après pour m'offrir son bouquet de fleurs.
Solène : Comment se déroule la collaboration avec Laurie May ?
Malika : Lorine travaille avec Laurie May depuis très longtemps. Laurie l’accompagne notamment sur sa posture et sa souplesse. En tant que spécialiste du mouvement, Laurie sait expliquer à Lorine comment et pourquoi effectuer un geste, et comment le lier à un autre. Elles se connaissent depuis longtemps et travaillent très bien ensemble.
Solène : Que mettez-vous en place pour prévenir le risque de blessure chez vos patineurs ?
Malika : Nos patineurs sont suivis par un médecin du sport depuis leur plus jeune âge. Lorine, par exemple, est suivie depuis très longtemps par le même médecin du sport, qui a pu observer son évolution au fil des années. En plus de cela, elle bénéficie d'un suivi régulier par un kinésithérapeute. Si une blessure survient, nous arrêtons immédiatement l'entraînement pour permettre une récupération adéquate.
Solène : Pouvez-vous me parler de votre collaboration avec Catherine Papadakis ?
Malika : J'ai rencontré Catherine grâce à ma meilleure amie, qui est également entraîneuse de patinage. Le courant est tout de suite bien passé entre nous. Catherine a commencé à participer à mes stages d'été. Sa présence est très appréciée. Elle ne cherche pas à former uniquement des danseurs sur glace ; elle adapte ses méthodes au patinage artistique. Elle a un côté très humain qui enrichit notre collaboration. Je pense que notre partenariat fonctionne aussi parce que nous partageons des valeurs communes telles que l'humilité et la simplicité. C'est important pour moi de m'entourer de personnes avec qui je partage de réelles affinités. Catherine en fait partie.
Solène : Comment s’est faite la collaboration avec Gabriella Papadakis pour les chorégraphies de Lorine cette année ?
Malika : Tout a commencé par un rêve en décembre dernier ! J'ai rêvé que je demandais à Gabriella de chorégraphier les programmes de Lorine. Après les championnats du monde seniors, j'ai demandé à Lorine ce qu’elle en pensait. Avec l'accord de la FFSG, j'ai contacté Gabriella pour lui proposer ce projet. Elle a répondu positivement, et tout s'est mis en place très rapidement. C'est Gabriella qui nous a proposé la musique du programme court, et Lorine a tout de suite accroché. Quant au programme libre, nous avons toutes les trois cherché des musiques. Finalement, Gabriella et moi avons choisi une musique que Lorine avait suggérée. C’est important que Lorine soit impliquée dans le choix de ses musiques. La collaboration entre Lorine et Gabriella s'est merveilleusement bien passée, marquée par une grande humilité et beaucoup de rires. Je suis heureuse d'avoir suivi mon instinct. C'était une belle collaboration, et nous verrons ce que l'avenir nous réserve.
Solène : Qui sont les patineurs, entraîneurs et artistes qui vous inspirent ?
Malika : J'ai diverses sources d'inspiration. Du côté musical, j'apprécie énormément Ibrahim Maalouf et Sofiane Pamart, ainsi que leurs collaborations avec d'autres artistes. J'aime aussi certains chanteurs de rap de ma génération. En ce qui concerne le cinéma et la littérature, le dernier film que j'ai vu est "Moi, Capitaine", car les sujets abordés me parlent et je lis actuellement "Le Petit Prince". En ce qui concerne les entraîneurs, je pense à Alexei Mishin pour la longévité de ses athlètes. J’ai rencontré Stéphane Lambiel pour la première fois lors du Grand Prix de Angers et j’ai beaucoup apprécié nos échanges. Parmi les patineurs de ma génération, j'ai beaucoup aimé Irina Slutskaya, Michelle Kwan, Katarina Witt, ainsi que Surya Bonaly, avec qui je me suis entraînée. J'ai également admiré la génération précédente des patineurs français : Philippe Candeloro, Frédéric Dambier, Éric Millot... Alexei Yagudin a également été une source d'inspiration. Parmi les patineurs actuels, j'apprécie Adam Siao Him Fa pour sa détermination, ainsi que Kevin Aymoz pour son côté artiste. Je pense aussi bien sûr à Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron qui sont dans une autre dimension. Ils communiquent des émotions magnifiques à travers leur patinage, et leur simplicité et pureté sont remarquables.
Solène MATHIEU pour Patinage Magazine