Sur les traces des Belges du Wisconsin
Namur, Wisconsin. Source : Wikimedia Commons
Non, vous n'avez pas la berlue, vous êtes bien à ...Namur. Lors de votre passage en ville, découvrez ses spécialités culinaire belges et ses abord champêtres. Peut-être aurez-vous l'envie de faire un tour en bateau ? Dans ce cas, à défaut de Meuse, vous aurez le Lac Michigan ! Vous l'aurez compris, vous n'êtes pas dans la capitale dans la Wallonie, mais bien dans un village du Wisconsin fondé par des immigrants belges et dont l'histoire est étroitement liée à celle de notre pays.
La Belgique, une puissance industrielle...
Pour comprendre l’histoire des Belges du Wisconsin, il faut se remémorer ce qu’ était la Belgique dans les années 1840 à 1850. Jeune royaume de 4.5 millions d’habitants à peine sorti de la guerre d’indépendance qui l’opposa aux Pays-Bas, la Belgique est une petite puissance industrielle en pleine expansion qui se veut à la pointe du progrès, notamment par le développement précoce d’un réseau ferroviaire à partir de 1835. Le pays profite alors pleinement de la révolution industrielle, notamment grâce aux bassins houillers de Liège et de Charleroi qui placent le centre de gravité économique du pays en Wallonie. Toutefois, la Belgique possède aussi une solide tradition agricole : on estime par recensement que la moitié de la population belge vit encore de la terre en 1846. C’est en Flandre que l’agriculture est la plus développée.
...et des campagnes en criseÂ
Dans les années 1840, la Belgique n’est pas épargnée par ce que l’on appelle communément « la famine de la pomme de terre ». A cette époque, le mildiou fait des ravages dans les plantations, causant des famines ainsi que la mort de dizaines de milliers de personnes en Irlande, en Belgique, en Prusse et en France. Les ressources alimentaires se raréfient et deviennent de plus en plus chères. La Flandre est durement touchée par la crise : c’est la « misère des Flandres » que décrit Henri Pirenne, le célèbre historien belge aux travaux aujourd’hui quelque peu vieillis, qui ira jusqu’à dire que les pauvres mangeaient des chiens et des chats pour se sustenter, voire des cadavres d’animaux déterrés. S’ensuit une épidémie de typhus qui fera des ravages parmi la population.
Dans la Wallonie rurale, les conditions de vie sont très difficiles, surtout pour les ouvriers agricoles qui vivent dans la misère en travaillant pour les cinsîs, les fermiers qui possèdent des terres. A titre de comparaison, un ouvrier du canton de Jodoigne gagne 1 franc par jour de travail, alors que l’hectare de terrain cultivable se vend entre 3000 et 4000 francs. De plus, les ouvriers agricoles sont victimes des progrès de la mécanisation qui rendent leur travail de moins en moins indispensable.
L'espoir d'une vie meilleure Ă l'autre bout du monde
La colonie belge du Wisconsin trouve ses origines dans une conjoncture favorable à l’émigration de part et d’autre de l’Atlantique. Tandis que la misère règne dans les campagnes de Belgique, les États-Unis d’Amérique cherchent de la main d’œuvre pour défricher les forêts de la région des Grands Lacs où se trouvent les terres les plus fertiles du pays. Ainsi, des lois favorisant l’installation de colons européens en ces lieux sont mises en place, tandis que l’État belge, confronté à des problèmes de surpopulation, facilite le départ d’immigrants vers les États-Unis.
Les pionniers de l’émigration américaine sont sans doute les habitants de Grez-Doiceau. Poussées par un pasteur en 1853, plusieurs familles de la localité brabançonne décident de revendre tous leurs biens pour partir vers un nouveau monde supposé meilleur. Au nombre de quatre-vingt-un, ils sont bien décidés à partir en groupe pour diminuer les risques et limiter le sentiment de déracinement. Rejoignant le port d’Anvers à pied, en charrette ou en train depuis Leuven, ils embarquent sur le navire «  Quinnebaug » à destination du Nouveau Monde et fondent une colonie à Green Bay. Dans leurs valises se trouvent un passeport signé par le ministre belge des Affaires étrangères et… un certificat de bonne conduite délivré entre autres par le curé de leur paroisse. Par la suite, près d’un Grézien sur sept les suivra vers le Wisconsin ainsi que des habitants d’autres villages qui se déplaceront en masse jusqu’à inquiéter les autorités belges qui voyaient leurs territoires se dépeupler.
A. Ruger, La rĂ©gion de Green Bay en 1867. Source : WikipĂ©diaÂ
Que pouvaient bien ressentir ces hommes et ces femmes lorsqu’ils regardaient leur famille, leurs amis et leur village pour la dernière fois ? Dans son ouvrage Les Belges du Wisconsin, Daniel Delisse cite le tĂ©moignage d’un Ă©migrĂ© allemand qui Ă©crit sur son dĂ©part en 1848 :Â
« Les voisins et les amis Ă©taient venus pour dire un dernier au revoir et les larmes coulaient Ă flots car c’était comme si tous ceux qui partaient en AmĂ©rique montaient au ciel ».Â
Si l’émigration donne aux Belges l’espoir d’une vie meilleure et permet la découverte d'horizons alors insoupçonnés pour de modestes paysans, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit également d’un véritable déracinement qui se fait généralement dans la douleur.
Belgique-en-Wisconsin
À leur arrivée, les Belges préfèrent rester entre eux plutôt que de s’éparpiller sur le territoire et fondent des villages parmi lesquels nous citerons Brussels, Namur, Champion, Rosiere et Walhain. Très vite, ils apprennent à cohabiter avec les Indiens Potawatomi, qu’ils surnomment « les sôvadjes » et avec qui ils ont des relations assez cordiales. Ces Indiens vont notamment les aider à survivre lors de leur premier hiver sur place. Souvent, le niveau de vie des Belges émigrés était en deçà de ce qu’ils avaient espéré et l’adaptation à leur nouveau milieu n’était pas facile. Ils vivaient pour la plupart dans de petites maisons en bois et devaient défricher la forêt avant de pouvoir démarrer une activité agricole. L’arrivée sur place n’était pas donc pas la découverte d’un paradis !
C’est donc ça l’Amérique. Une cabane en rondins, un toit d’écorces et un lit de branches. Quand le pionnier brabançon dépose sa hache, se redresse, met les mains sur les hanches et regarde autour de lui, il ne voit que des arbres (…) (Delisse D., Les Belges du Wisconsin, Bruxelles, Le Cri, 2011)
Petit à petit, le niveau de vie des colons va s’élever. La colonie s’organise en une communauté qui développe une identité basée sur la culture wallonne dont il reste encore des traces de nos jours : brassage de bière, kermesses folkloriques où l’on joue à des jeux du pays et où l’on chante la Brabançonne, usage quotidien du wallon au détriment de l’anglais, processions, etc. Dans les années 1860, les Belges du Wisconsin vont être appelés, à contre-cœur, à participer à la Guerre de Sécession dans le camp nordiste. Bien plus tard, leurs descendants participeront à la libération de la Belgique au sein de l’armée américaine en 1944. C’est ainsi qu’un certain Milo Coppersmith, sous-officier de la police militaire natif de Brussels (Wisconsin), se taillera une réputation de catcheur à Namur (Belgique) sous le nom d’Emile le Wallon et finira par se marier avec une Jamboise. Quelle ne fut pas la stupéfaction des Namurois quand ils virent le sergent Coppersmith régler la circulation en wallon lors de l’arrivée des troupes américaines !
Une ancienne ferme "belge" du Wisconsin, la ferme Massart à Rosiere. Source : Wikipédia https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0 (Si apre in una nuova finestra)
Vous reprendrez bien un peu de Belgian Pie ?Â
La culture wallonne des villages du Wisconsin a décliné petit à petit pour se fondre davantage dans la culture anglo-saxonne. A Namur comme ailleurs, seuls les plus anciens parlent encore occasionnellement le wallon. C’est sans doute dans la gastronomie locale que l’on retrouve le plus de références à la Belgique : là -bas, les Belgian Pies (tartes) et les Belgian Tripes (tripes) rencontrent un franc succès ! Notons également l’existence d’un monument dédié aux migrants belges à Namur (Wisconsin) et de maisons à l’architecture plus wallonne qu' américaine. Combien de temps encore le souvenir des immigrants belges du XIXe siècle sera-t-il  perpétué dans ces contrées des États-Unis ? L’avenir nous l’apprendra !
William Isaac Harter, monument dédié aux migrants belges. Source : Wikipédia
Pour aller plus loin :Â
La RTB a consacré un documentaire aux Wallons du Wisconsin en 1975 (Si apre in una nuova finestra). Cet ancien film est disponible sur le site web de la Sonuma. Il existe aussi un documentaire plus récent (Si apre in una nuova finestra) réalisé par Xavier Istasse. À voir également,  l'article du magazine Médor consacré aux descendants des colons belges du Wisconsin (Si apre in una nuova finestra).
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Bibliographie :Â
Delisse D., Les Belges du Wisconsin, Bruxelles, Le Cri, 2011.
Pirenne H, Histoire de Belgique, t. VII : De la révolution de 1830 à la guerre de 1914, Bruxelles, Henri Lamertin, 1931.
Servais P., « La crise des années 1845-1848 dans l’est de la Wallonie », Histoire & mesure [En ligne], XXVI-1 | 2011.