Passer au contenu principal

Interview Marie Dupayage et Thomas Nabais

© Kate Royan - Patinage Magazine

Ils ont terminé seconds des Masters de Villard de Lans, leur première compétition de la saison. Je les retrouve après une bonne nuit de sommeil !

Patinage Magazine : Comment ce sont passés ces Masters ?

Marie : Plutôt bien. Nous sommes contents de nos prestations et du résultats.

Thomas : Oui, nous sommes contents. Nous savons qu'aux Masters, nous ne faisons jamais les performances de notre vie. Nous étions là pour montrer nos programmes et lancer la saison. Nos scores et les retours sont assez bons. Il va falloir continuer de travailler dur.

P.M. : C'était votre première sortie de la saison. Allez-vous participer à des Grand Prix ?

Marie : Seulement à celui d'Angers.

Thomas : Nous ne sommes pas très loin dans la liste des «remplaçants» entre guillemets.

[NDLR : depuis, ils ont également été sélectionnés au NHK Trophy au Japon]

P.M. : Avez-vous un modèle en danse sur glace, un couple qui vous inspire particulièrement ?

(Sourires)

P.M. : Vous n'êtes pas obligés de me répondre Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron !

(Rires)

Marie : Ils ont quand même beaucoup fait progresser la danse sur glace. Même s'ils ne patinent plus en compétition, je continue d'admirer leur travail.

Thomas : Ils sont remarquables dans leur unisson et surtout dans leur qualité de patinage. J'aime aussi beaucoup les Canadiens Piper Gilles et Paul Poirier. Ils cultivent la différence, ils sont hyper créatifs. Nous ne sommes pas vraiment des danseurs similaires, mais cette recherche de la différence, d'être un peu unique, me parle beaucoup. J'aspire vraiment à cela.

P.M. : Tu dirais que vous êtes dans la même démarche ?

Thomas : Nous avons des styles différents évidemment, mais nous cherchons vraiment à être le plus créatif possible. J'admire leur état d'esprit.

P.M. : Patiner votre danse rythmique sur du Jefferson Airplane, c'est très créatif ! C'est un groupe qui n'est même pas de ma génération, mais plutôt de celle de mes parents !! (rires)

Thomas : C'est Karine [Arribert] qui nous a proposé cette musique. Comme d'habitude, nous validons ou non, selon notre ressenti. Mais nous sommes toujours très ouverts !

Marie : Oui, toujours ! C'est en plein dans le thème imposé par l'ISU, et en même temps très original.

Thomas : Il est assez large, ce thème, cette année. Nous nous doutions que nous allions retrouver un certain nombre de styles récurrents chez nos concurrents, d'où notre souci de faire quelque chose de différent. Ceci dit, le thème est les danses sociales, et il a fallu s'adapter, trouver un biais pour ne pas être hors sujet.

Marie : Le rock est une danse sociale en fait, nous ne sortons pas du cadre malgré l'originalité de notre choix. Nous faisons confiance à Karine. Dans notre chorégraphie, elle a totalement réussi à retranscrire l'ambiance des années 70. Je pense que c'est ce qui va faire notre force cette saison. Le challenge c'est d'être différents, tout en restant dans ce que l’attend de nous.

P.M. : Et votre libre ?

Marie : Nous avons eu beaucoup de propositions de la part de Karine. Elle a beaucoup cherché. Finalement notre choix unanime s'est porté sur Benjamin Clementine. Nous restons dans notre univers tout en proposant un thème différent de nos libres des saisons passées.


P.M. : Question plus générale. Les règlements ont beaucoup évolué au fil des années mais y a t'il quelque chose, dans la danse sur glace, que vous aimeriez voir changer ?

Thomas : Techniquement, je suis ouvert à plein de choses. Mon idée est, disons, plus politique...

P.M. : Exprime toi ! (rires)

Thomas : Je trouve que les femmes sont encore trop sexualisées. On pourrait encore déconstruire un certain nombre de clichés. Exemple : les femmes ont le droit de patiner en pantalon depuis seulement trois ou quatre ans ! Je trouve cela aberrant. Bon, en tant qu'homme, c'est facile à dire. Mais en tant qu'homme aussi, justement, je pense qu'il y a vraiment beaucoup de pression sur les femmes en danse sur glace. Cette image de « sois belle, tais-toi, et danse », est totalement datée.

Marie : « Sois belle, sois mince, tais-toi, maquille toi et danse » ! Le monde de la danse sur glace est ainsi, donc nous nous plions aux règles. Mais ce n'est pas toujours facile à vivre. Dans la tête c'est : OK, en même temps que j'exécute mon programme, je dois être jolie, sans une mèche qui dépasse, avec le maquillage qu'il faut, il ne faut surtout pas que je prenne de poids, fais ceci mais pas cela. Pour le maquillage et la coiffure, je dois me lever une heure et demi ou deux heures plus tôt que mon partenaire. Lui, un peu de fond de teint, de la poudre pour ne pas briller, et c’est parti. Il y a des moments où c'est un peu pesant. La danse sur glace est un sport de représentation, d’accord. Nous n'allons pas performer en jogging avec les cheveux droits sur la tête comme au réveil. Mais ce serait bien d’avoir un peu plus de latitude et moins de pression en rapport avec notre féminité. Les hommes n'ont pas cette pression là.

P.M. : Le sexisme, vous avez eu à en souffrir ?

Thomas : Personnellement non, ça ne va pas vous étonner !

P.M. : En danse, l'homme reste néanmoins le macho de service…

Thomas : Tout à fait. Quand je parlais de déconstruire, c'était aussi dans ce registre. Il y a beaucoup plus d'attention portée aux femmes qu’aux hommes. Mais il y a aussi cette attente de l'homme fort qui soutient sa partenaire, en gros, l'homme n'est là que pour cela. Elle doit être belle, lui doit être fort. Dans notre façon de danser, dans nos programmes libres en particulier, nous essayons de ne pas tomber dans ces clichés. Je n'ai aucun problème à montrer ma sensibilité. J'espère ne pas reproduire à mon insu ce stéréotype d'homme ultra solide, qui n'a pas d'émotion, et qui n'est là que pour porter sa partenaire. Franchement, ce n'est pas du tout ce qui m'intéresse dans la danse. C'est ce que j'admire chez Gabriella et Guillaume, ainsi que chez Piper Gilles et Paul Poirier. Avec eux, la sensibilité n'est pas réservée seulement à l'élément féminin du couple. Bien sûr, le patinage est fait de telle sorte que l'homme doit porter la femme, la soutenir dans les éléments. Oui OK, mais on pourrait envisager cela de façon différente, avec plus de nuance.

Marie : Je trouve original et génial de se dire, oui, une femme peut porter un homme, et réussir un bel élément !

Thomas : Souvent, Marie me propose de me porter à l'entraînement ! (rires) On ne parle pas de portés de couples évidemment.

Marie : Il est possible de réaliser des choses très esthétiques sans qu'elles soient forcément très difficiles. Les portés, c'est aussi une question de dynamique, pas seulement de force physique.

Thomas : Actuellement, si on veut des grades d'exécution positifs, il faut que tout rentre dans les cases, et ces cases restent encore un peu figées. Il est plus facile d'avoir de bons GOEs grâce à des portés acrobatiques et légers. A cause de nos différences de taille et de poids, ce serait plus compliqué si c'était Marie qui me portait. Mais il y a sûrement moyen de réaliser des choses jolies et originales. Déconstruire et reconstruire en innovant un peu. Il faudrait en finir avec tous ces canons de beauté attendus dans le patinage. Déjà, nous sommes de petite taille, donc pas vraiment dans la norme. Mais nous essayons d'en tirer parti. C'était notre inquiétude quand nous sommes entrés en seniors. Nous avons toujours eu conscience que cette petite taille était déjà notre différence. Elle aurait pu être un obstacle.

P.M. : Tu parlais de Gilles/Poirier. Ils ne sont pas particulièrement grands. Guignard/Fabbri non plus.

Thomas : Oui, mais ils sont plus âgés que nous, et ont acquis une grande expérience. Nous avions peur qu'entre notre âge et notre petite taille, nous restions vus comme des juniors. Heureusement, nous avons vite été rassurés. Nous avons été très bien reçus en senior par rapport à nos années juniors, voire même mieux !

Propos recueillis à Villard de Lans par Kate Royan le 29/09/2024



Sujet Interviews