Restauration des forêts : cibler les zones les plus et les moins exploitées pour des résultats optimaux
Une équipe de recherche travaillant dans une forêt expérimentale de Bornéo a montré que les écosystèmes subissent des changements soudains lorsque l’exploitation atteint certains seuils.
Par Warren Cornwall (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)
Comment guérir une forêt?
Le temps que vous lisiez cet article, plus de cinq acres (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) de forêt tropicale amazonienne auront probablement disparu, soit l’équivalent de trois terrains de soccer. À l’heure où l’on s’efforce d’éviter les pires conséquences de la sixième grande extinction de masse, sans parler des changements climatiques, une question pressante se pose : que faire de toutes ces zones déboisées? Des scientifiques à l’œuvre dans la jungle malaisienne proposent de nouvelles pistes de réflexion. En faisant le suivi de plus de 1 600 espèces de plantes et d’animaux, ils ont découvert que les écosystèmes forestiers subissent des changements soudains lorsque l’exploitation atteint certains seuils.
Leurs conclusions laissent à penser que même les zones partiellement exploitées pourraient mériter des protections similaires à celles des forêts intactes. Elles mettent également en évidence les stratégies les plus susceptibles de rétablir la santé d’une forêt exploitée.
« Bien que les forêts vierges diminuent dans le monde entier, cela ne signifie pas que tout espoir est perdu, a déclaré Robert Ewers (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), écologiste à l’Imperial College de Londres, qui a dirigé la nouvelle étude. Il existe d’autres forêts que nous pouvons protéger pour préserver la biodiversité. »
De nombreuses recherches ont été menées au sujet des conséquences de l’exploitation forestière sur les écosystèmes (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), mais elles se limitent généralement à un aspect bien précis et ne permettent pas de brosser un portrait global de la situation. Les écosystèmes sont des milieux d’une grande complexité, a fortiori les jungles tropicales grouillantes de vie. Documenter la manière dont réagissent tous les habitants d’une forêt face à l’intrusion des tronçonneuses représente donc un défi fort ambitieux.
Mais c’est précisément ce que des scientifiques ont tenté de faire dans une forêt expérimentale (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) à Bornéo. La forêt a subi différents niveaux d’exploitation. Certaines zones ont été laissées intactes. D’autres ont été légèrement déboisées. D’autres encore ont fait l’objet d’une coupe à blanc et ont été pratiquement dépouillées de toute végétation.
Pendant une dizaine d’années, les chercheurs ont passé ces lieux au peigne fin plus de 125 fois et y ont identifié près de 5 000 espèces différentes. Du lot, 1 681 ont été observées au moins cinq fois, ce qui a permis de créer un modèle statistique illustrant la réaction de chaque espèce aux changements survenus dans la forêt.
La liste des espèces répertoriées témoigne de l’incroyable richesse d’une forêt tropicale : 590 plantes, 88 mammifères, 161 oiseaux, 9 reptiles, 42 amphibiens, 26 poissons, 263 coléoptères, 199 papillons, 130 fourmis et 33 araignées. En termes de poids, la liste va de l’éléphant de Bornéo, qui pèse 3 000 kilos, au coléoptère moins lourd qu’un grain de riz.
Les scientifiques ont analysé les données afin d’établir deux points critiques : le niveau d’exploitation forestière auquel la probabilité de trouver une espèce individuelle change pour la première fois, et le point auquel cette probabilité change le plus rapidement.
Ils ont constaté que les populations commençaient à changer à la moindre exploitation du milieu. Lorsque les premiers arbres commencent à tomber, la fréquence de la présence change pour près d’un quart des espèces, ont rapporté les scientifiques à la mi-juillet (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) dans la revue Nature.
D’autres espèces ont montré des signes de réaction jusqu’à ce que les coupes éliminent environ 30 % de la biomasse de la forêt, moment où le nombre d’espèces présentant des changements s’est stabilisé. Cette tendance s’est maintenue jusqu’à ce que plus de 80 % de la forêt ait disparu. C’est alors qu’un tout nouveau groupe d’espèces a commencé à montrer des signes de réaction.
Selon les scientifiques, ce schéma suggère que si les forêts sont très sensibles à l’exploitation, elles ont également la capacité de s’adapter ou de se reconstituer d’elles-mêmes si moins de 30 % de la superficie est exploitée. Cela signifie que les types de protection utilisés pour les forêts vierges, comme les refuges pour la faune et la flore, pourraient également fonctionner dans les endroits qui n’ont été que légèrement exploités. Ce seuil pourrait également servir de référence pour les projets d’exploitation forestière qui se veulent durables.
« Conserver les forêts intactes sera toujours l’idéal, mais il ne faut pas voir ce qui vaut la peine d’être préservé ou non de manière dichotomique, a déclaré Will Pearse (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), coauteur de l’étude et écologiste évolutionniste à l’Imperial College de Londres. Un certain degré d’exploitation forestière peut toujours être nécessaire, et bien que ces forêts ne soient plus vierges, à certains seuils d’exploitation, elles peuvent encore se maintenir en tant qu’écosystèmes fonctionnels. »
Les conclusions de l’étude donnent également des indications sur les types de forêts qui pourraient bénéficier le plus des efforts de restauration et dans quelle mesure ceux-ci sont justifiés. Dans la zone d’exploitation intermédiaire, par exemple, les efforts pour passer de 60 % à 40 % de surface déboisée risquent d’offrir des gains minimes.
En revanche, les conclusions indiquent « où les projets de restauration obtiendraient des résultats optimaux, a souligné Cristina Banks-Leite (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), écologiste à l’Imperial College de Londres, qui a participé aux recherches. Les changements dans la biodiversité sont plus rapides en dessous de 30 % et au-dessus de 70 % de perte de biomasse, ce qui suggère que toute amélioration de l’habitat dans ces zones entraînerait des changements marqués dans la biodiversité. »
Ainsi, les endroits les moins et les plus touchés sont ceux où les efforts de restauration sont susceptibles d’être le plus porteurs.
Ewers et coll. Thresholds for adding degraded tropical forest to the conservation estate. Nature, 17 juillet 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/07/for-the-best-forest-restoration-roi-focus-on-the-least-and-most-logged-places/ (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), la Durabilité à l’Ère Numérique (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) et le pôle canadien de Future Earth (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).