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Peut-on exploiter les forces du marché pour sauver des habitats aux quatre coins du monde? Certains scientifiques pensent que oui.

« Permettre à un pays de payer un autre pays pour qu’il protège des refuges marins à sa place a pris tout son sens lorsque nous avons réalisé à quel point les mandats de conservation uniformes sont inefficaces. »

Par Warren Cornwall (Opens in a new window)

La croissance économique est l’un des principaux facteurs de destruction de la nature. Les forêts tropicales sont rasées pour faire place à des plantations de soja. L’atmosphère est surchauffée par la pollution générée par l’industrie des combustibles fossiles. Des masses flottantes de déchets plastiques, effluents de notre société de consommation, encombrent certaines parties de l’océan. Ce n’est pas pour rien que la « décroissance » est devenue le mantra de certains écologistes.

Mais qu’en est-il de la possibilité d’exploiter certaines des forces du marché qui régissent l’économie mondiale pour favoriser la sauvegarde de sites d’une grande importance écologique? Un groupe de scientifiques de l’environnement pense qu’une telle approche pourrait améliorer la probabilité que les pays respectent leurs récentes promesses de préserver 30 % des océans de la planète pour la vie marine, en réduisant le coût de ces mesures de protection de 98 %.

« Il existe des moyens moins coûteux d’atteindre les objectifs de conservation du milieu marin, déclare Juan Carlos Villaseñor-Derbez (Opens in a new window), un chercheur en environnement en voie de devenir professeur à l’Université de Miami. L’ampleur des économies réalisées est en effet surprenante. »

L’idée de mettre la dynamique du marché au service de l’environnement (Opens in a new window) n’est pas nouvelle. Aux États-Unis, un système permettant aux pollueurs d’acheter entre eux des quotas de pollution (Opens in a new window) a permis de réduire les pluies acides causées par les émissions des centrales au charbon. Un mécanisme semblable de « plafonnement et d’échange » est souvent présenté comme un moyen de lutter contre les gaz à effet de serre.

En même temps, on ne compte plus les traités internationaux sur l’environnement qui ont échoué, en partie parce que les pays se sont montrés réticents à en assumer les coûts. Le Protocole de Kyoto de 1997 (Opens in a new window) était censé ramener les émissions de gaz à effet de serre de nombreux pays parmi les plus riches du monde à un niveau inférieur de 5 % à celui de 1990 avant 2012. Cela ne s’est pas produit. Les pays sont loin d’avoir atteint (Opens in a new window) les objectifs de protection de la biodiversité convenus en 2010. Certains sont à deux doigts de trahir les promesses faites en 2015 dans l’Accord de Paris sur le climat. Le nouvel accord de 2022 sur la biodiversité, qui prévoit la protection de 30 % des océans, risque de connaître le même échec.

M. Villaseñor-Derbez et deux économistes de l’environnement de l’Université de la Californie à Santa Barbara se sont demandé si l’on pouvait modifier ce traité, connu sous le nom de Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, afin de rendre les objectifs de protection des océans plus abordables et plus faciles à atteindre.

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À l’heure actuelle, chacun des quelque 190 pays signataires de l’accord s’est engagé à protéger 30 % de la partie de l’océan qu’ils contrôlent. Mais le coût de cette promesse n’est pas le même pour tous. Certains pays pourraient devoir fermer des pêcheries lucratives, par exemple, tandis que d’autres n’ont qu’une faible activité économique dans leurs eaux.

Que se passerait-il si un pays disposant d’une zone maritime relativement « coûteuse » pouvait payer un autre pays pour protéger une zone maritime d’une superficie équivalente et d’une valeur économique moindre? Une telle entente pourrait atténuer les difficultés économiques du pays où les coûts réglementaires sont les plus élevés, tout en offrant une nouvelle source de revenus au pays dont la zone maritime rapporte moins sur le plan économique.

Pour voir comment cette approche pourrait fonctionner à l’échelle mondiale, M. Villaseñor-Derbez et ses collaborateurs ont rassemblé des modèles détaillés sur l’aire de répartition de près de 24 000 espèces marines et sur les revenus générés par différentes pêcheries dans le monde. Ils ont ainsi pu dresser un tableau de l’importance écologique de différentes zones de l’océan et de la valeur économique des pêcheries qui s’y trouvent.

Les chercheurs ont ensuite élaboré divers scénarios visant à réduire au minimum le coût économique de la protection de 30 % de l’habitat océanique à l’intérieur des zones économiques exclusives (ZEE) des pays – soit les zones qui bordent leur littoral et sont sous leur contrôle.

L’approche la plus laxiste consiste à diviser le monde en quatre « bulles » commerciales, où chaque pays peut conclure des accords avec un autre pays de la même zone pour qu’il protège un habitat en son nom.

Des approches plus strictes consistent à restreindre ces échanges à des zones ayant les mêmes écosystèmes. Pour l’une de ces approches, les chercheurs ont divisé les eaux en 12 « milieux » en fonction de caractéristiques biologiques et géographiques communes. Selon l’approche la plus restrictive, les échanges ne seraient autorisés qu’entre des zones maritimes ayant le même type d’habitat, réparties en 219 « écorégions » différentes.

Les chercheurs ont constaté que même l’approche la plus restrictive permettrait de réduire de plus d’un tiers (37 %) le coût global de la réalisation de l’objectif de 30 %. Un système plus souple, autorisant par exemple les échanges au sein des régions biogéographiques ou des hémisphères, a permis de réduire les coûts de 97,5 %, selon les résultats publiés récemment (Opens in a new window) dans la revue Science.

Bien que le montant astronomique des économies soit surprenant, « il a pris tout son sens lorsque nous avons réalisé à quel point les mandats de conservation uniformes sont inefficaces », commente M. Villaseñor-Derbez.

Des économies aussi spectaculaires pourraient faire d’une telle initiative une solution gagnante. Un système d’échange pourrait à la fois rendre la conservation marine plus attrayante et dégager des fonds permettant de résoudre d’autres problèmes sociaux ou environnementaux, fait remarquer M. Villaseñor-Derbez.

Mais comme pour de nombreuses politiques environnementales, le diable est dans les détails. Tout d’abord, il faudrait modifier l’accord international pour pouvoir mettre en place un tel système d’échange. Tout cadre doit également prévenir les pratiques abusives.

Certains pays pourraient essayer de vendre des droits de conservation d’une partie de l’océan qui n’a qu’une faible valeur écologique. Un pays pourrait appliquer de manière laxiste les restrictions relatives à la pêche ou à d’autres activités. Par conséquent, un pays riche pourrait ne pas être contraint de limiter les activités dans ses propres eaux, tandis qu’un pays plus pauvre payé pour conserver un endroit pourrait ne pas le faire. L’augmentation des profits pouvant être tirés de la conservation des océans pourrait également conduire les gouvernements à expulser les populations locales qui dépendent de la mer pour leur subsistance.

M. Villaseñor-Derbez reconnaît que ces problèmes pourraient se poser. Il souligne également que nombre d’entre eux peuvent également se produire dans le cadre du système actuel. « Comme pour tout accord international, des mécanismes de contrôle et de vérification appropriés devraient être mis en œuvre, a-t-il déclaré. Notre principal objectif était d’estimer l’ampleur des gains possibles. Maintenant que nous savons qu’ils peuvent être considérables, il est temps de se pencher sur […] les aspects importants de la politique. »

Villaseñor-Derbez et coll. « A market for 30×30 in the ocean ». Science. 13 juin 2024.

Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/06/could-market-forces-be-harnessed-to-rescue-habitat-worldwide-some-scientists-think-so/ (Opens in a new window)

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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Opens in a new window). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Opens in a new window), la Durabilité à l’Ère Numérique (Opens in a new window) et le pôle canadien de Future Earth (Opens in a new window).

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