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Y a-t-il suffisamment de terres sur la planète pour nourrir le monde et stocker le carbone?

Une nouvelle étude de modélisation apporte une réponse étonnante : oui, si tous les éléments sont réunis.

Par Emma Bryce (Opens in a new window)

L’un des meilleurs outils dont nous disposons pour capturer des tonnes de dioxyde de carbone et atteindre nos objectifs en matière de climat est l’utilisation des terres. Mais celle-ci est également cruciale pour la production de nourriture. Ces deux exigences pourront-elles coexister à l’avenir?

Étonnamment, la réponse est oui, selon une nouvelle étude parue dans la revue Frontiers in Environmental Science (Opens in a new window). Celle-ci montre qu’il est possible d’augmenter la production alimentaire, de protéger les habitats, d’emprisonner des tonnes de carbone et d’accroître la production d’énergie renouvelable afin de maintenir le réchauffement en dessous de 1,5 °C, et ce, sans qu’aucun de ces changements territoriaux n’empiète sur l’espace disponible pour l’un ou l’autre.

Toutefois, l’équipe de recherche affirme que ce jeu de Tetris nécessitera des changements énormes et audacieux, notamment des politiques mondiales et des mesures incitatives pour protéger les terres et limiter la concurrence entre ces différents besoins.

Pour parvenir à ses conclusions, l’équipe s’est appuyée sur une projection climatique appelée Sky 2050, un scénario élaboré par le géant pétrolier Shell qui montre l’ensemble des changements qui seraient nécessaires pour maintenir la hausse des températures en dessous de 1,5 °C d’ici 2100. Cette projection révèle qu’une pièce maîtresse du puzzle consistera à tabler sur les terres non exploitées de la planète pour capturer le carbone et produire de l’énergie propre, ce qui impliquerait d’étendre les parcs solaires et éoliens sur ce territoire, d’emprisonner d’énormes quantités de carbone dans les sols et les habitats grâce à des solutions naturelles telles que le reboisement et la protection des sols, et de procéder dans une certaine mesure au piégeage et au stockage du carbone.

L’équipe a ensuite voulu savoir s’il resterait suffisamment de terres pour nourrir la planète. Pour ce faire, elle a intégré les données du scénario Sky 2050 dans un modèle élaboré par le Massachusetts Institute of Technology, appelé Integrated Global System Modeling (modélisation intégrée de systèmes mondiaux), qui montre à quoi ressemblerait le monde sur le plan physique et socio-économique en fonction de différents scénarios.

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Selon la vision de Sky 2050, on pourrait s’attendre à ce que le stockage du carbone, l’agriculture et les habitats se disputent les terres surutilisées de la planète. Or, le modèle a révélé que même les plus importants changements requis pour atteindre l’objectif climatique (c’est-à-dire les solutions naturelles, qui nécessitent de loin les plus grandes terres) n’empiéteraient pas sur la production alimentaire.

Fait intéressant, c’est en partie parce que ces solutions naturelles seraient combinées avec l’agriculture, transformant celle-ci en une entreprise plus respectueuse de l’environnement (Opens in a new window) dans son ensemble, ce qui en ferait un élément essentiel de la solution au problème du climat. En fait, selon le modèle, 61 % des terres cultivées dans le monde accueilleraient également une forme ou une autre de solution naturelle d’ici 2100. L’un des exemples les plus marquants est celui du biocharbon, qui a permis le plus grand piégeage du carbone à partir d’une seule solution naturelle en agriculture, d’après les chercheurs. Parmi les autres exemples figurent la culture sans labour, la plantation de légumineuses fixatrices d’azote et l’agroforesterie.

Pour atteindre les cibles climatiques, il faudrait protéger une plus grande superficie de forêts séquestrant le carbone, en plus d’étendre les forêts grâce à des programmes de reboisement. Le modèle indique que cette solution serait également possible compte tenu des terres disponibles.

Qu’advient-il de l’alimentation dans ce contexte? Les chercheurs estiment que l’agriculture ne serait pas touchée par la situation, tout d’abord parce qu’elle partagerait l’espace avec des solutions naturelles dans de nombreux cas, ce qui n’aurait pas d’incidence sur les rendements, selon la modélisation. En fait, nombre de ces solutions climatiques, comme le biocharbon, ont été associées à une augmentation des rendements. Par ailleurs, le modèle montre que les terres cultivées pourraient également s’étendre sur d’anciens pâturages. Ceux-ci verraient en effet leur superficie réduite en raison des pressions exercées par le marché qui, d’après le scénario idéalisé de Sky 2050, entraîneraient des coûts plus élevés pour la production d’aliments très émissifs, ce qui ferait baisser la production de bétail et la rendrait plus efficace sur le plan de la gestion des terres.

Dans l’ensemble, même avec ces gains en matière de carbone et de biodiversité, la production végétale pourrait augmenter en fonction de la demande alimentaire, ce qui représenterait une hausse de 161 % par personne entre 2020 et 2100.

En ce qui concerne les énergies renouvelables et la bioénergie, l’équipe de recherche a constaté que l’intensification des parcs solaires et éoliens nécessiterait entre 3 et 5 % des terres mondiales, et ce, sans empiéter sur les habitats ou les exploitations agricoles.

Globalement, le modèle élaboré par l’équipe à partir du scénario de Sky 2050 montre que les solutions naturelles, en particulier, retiennent ou éliminent jusqu’à six gigatonnes de CO2 par an. Ce résultat, combiné avec les avantages des autres utilisations des terres en matière de carbone, permettrait au monde de réaliser ses objectifs climatiques d’ici la fin du siècle.

Si un équilibre avec la production alimentaire est possible, il n’en demeure pas moins que l’écart entre notre situation actuelle et celle que nous souhaitons atteindre est énorme. L’équipe de recherche reconnaît ce fait en proposant des réformes radicales qui devraient être mises en œuvre. Selon elle, les solutions naturelles devraient être « massivement adoptées » par les agriculteurs, idéalement d’ici 2050. Pour ce faire, il faudra sans doute que les gouvernements prennent des mesures incitatives considérables pour convaincre les agriculteurs de se joindre au mouvement. Les politiques nationales et mondiales qui soutiennent les différentes utilisations des terres devront aussi être soigneusement alignées pour éviter la concurrence entre ces activités.

L’équipe de recherche précise qu’elle ne sait pas comment réaliser cet exploit – ces détails feront l’objet de travaux ultérieurs. L’objectif de l’étude était de réfuter l’idée que nous devons protéger soit la nature, soit le climat, soit la nourriture. « La nouveauté de notre étude réside dans le message clair qu’il est possible d’adapter les terres aux principaux besoins humains, tout en les protégeant et en les restaurant », écrivent les auteurs.

Source : PALTSEV, Sergey, et coll. « Land-use competition in 1.5 °C climate stabilization: is there enough land for all potential needs? (Opens in a new window) », Frontiers in Environmental Science, 2024.

Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/11/food-biodiversity-climate-mitigation-do-we-have-enough-land-on-earth-to-achieve-it-all/ (Opens in a new window)

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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Opens in a new window). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Opens in a new window), la Durabilité à l’Ère Numérique (Opens in a new window) et le pôle canadien de Future Earth (Opens in a new window).

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