Des rats géants pour pincer les braconniers
Le rat géant d’Afrique – déjà utilisé pour détecter les mines terrestres – peut faire de même pour les cornes de rhinocéros, les défenses d’éléphant et d’autres produits de contrebande courants, montre une équipe de recherche.
Par Warren Cornwall (Opens in a new window)
Crédit photo : APOPO HeroRATS (Opens in a new window)
Dans les films de gangsters, les têtes dirigeantes de la mafia craignent de se faire trahir par un « rat ». Or, de nos jours, les braconniers devraient plutôt se méfier des vrais rats.
En effet, des scientifiques ont entraîné des rats géants d’Afrique à flairer les cornes de rhinocéros, les écailles de pangolin, les défenses d’éléphant et les bois durs tropicaux, toutes des espèces en voie de disparition qui font l’objet de contrebande.
En raison de leur faible coût, de leur habileté à se faufiler dans des endroits exigus et de leur remarquable aptitude à mémoriser et à distinguer les odeurs, ces rongeurs de grande taille pourraient donner un coup de pouce aux forces de l’ordre dans leurs efforts pour intercepter les cargaisons illégales de produits prélevés sur des espèces sauvages, a fait valoir une équipe de recherche (Opens in a new window) dans Frontiers in Conservation Science à la fin octobre.
« Les outils de contrôle actuels coûtent cher, et leur utilisation demande beaucoup de temps; il est donc urgent d’améliorer le contrôle du fret », affirme Isabelle Szott (Opens in a new window). Celle-ci codirigeait les travaux de recherche à titre de scientifique au sein de l’APOPO (Opens in a new window), organisation tanzanienne qui a fait la une des journaux pour avoir entraîné des rats de la taille de petits chats domestiques à détecter l’odeur des mines terrestres et celle des personnes infectées par la tuberculose.
Le trafic d’espèces sauvages est une activité criminelle d’envergure mondiale qui génère quelque 23 milliards de dollars par an. Il a contribué au déclin rapide d’espèces aimées du public comme l’éléphant d’Afrique, dont la population a chuté de 30 % de 2007 à 2014, ou du rhinocéros, dont on estime que 11 000 individus ont été victimes de braconnage au cours des 10 dernières années, principalement pour leurs cornes.
Ces activités de contrebande passent souvent sous le radar, les produits du braconnage se fondant parmi les autres marchandises qui transitent d’un pays à l’autre à la faveur d’une économie mondialisée. Dans les ports, seule une fraction de tous les chargements expédiés peut faire l’objet d’une inspection, les appareils à rayons X utilisés à cette fin coûtant très cher. Certes, des chiens ayant reçu un entraînement spécialisé sont aussi capables de repérer l’odeur de certaines parties d’animaux dont le commerce est illégal, mais un seul de ces chiens coûte jusqu’à 30 000 $, et le chien renifleur doit généralement être accompagné d’une ou d’un maître-chien. C’est ici qu’entrent en jeu Kirsty, Marty, Attenborough, Irwin, Betty, Teddy, Ivory, Ebony, Desmond, Thoreau et Fossey. Ces rats d’Afrique ont été dressés et mis à l’épreuve par l’APOPO pour déterminer si l’on pouvait, grâce à leur museau sensible, les mettre à l’œuvre pour repérer les animaux et végétaux de contrebande.
Les rats ont été soumis à un programme d’entraînement exhaustif au cours duquel ils ont été exposés à des odeurs de morceaux de corne de rhinocéros, de défense d’éléphant, d’écailles de pangolin et de grenadille d’Afrique, une plante à croissance lente dont le bois est très prisé pour les instruments de musique et les décorations. On a d’abord placé de petits récipients de chaque substance derrière un panneau en plastique comportant des trous de la taille d’un museau de rat. Ensuite, on a rempli d’autres récipients de matières inoffensives que l’on trouve souvent autour des cargaisons illégales, notamment des câbles électriques, des perruques en plastique, des grains de café et du détergent à lessive. Plus tard dans l’entraînement, on a enfin introduit certains récipients contenant un mélange de substances, afin de voir si les animaux arrivaient à repérer les produits de contrebande lorsque ceux-ci étaient mélangés avec d’autres objets.
Lorsqu’un rat gardait son museau dans le trou menant à l’un des articles de contrebande pendant un certain laps de temps, il recevait automatiquement un peu de nourriture en guise de récompense. À la fin de leur entraînement, les rats avaient un taux de réussite de 99 % pour la corne de rhinocéros, de 90 % pour la défense d’éléphant et de plus de 75 % pour le pangolin et le bois, observent les scientifiques.
« De plus, les rats ont conservé leur capacité à détecter les animaux et végétaux ciblés après une période prolongée sans contact avec ceux-ci », affirme Kate Webb, coautrice de l’étude, de l’Université Duke.
La prochaine étape consiste à élaborer un système permettant de transformer ces résultats en laboratoire en un protocole qui aiderait les responsables de l’inspection à déceler les articles de contrebande dans les ports. L’équipe de recherche s’attache maintenant à concevoir pour les rats une veste dotée d’une petite balle à la poitrine. Ainsi, lorsque les rats flaireront une cible, ils pourront tirer sur la balle pour déclencher un signal sonore.
On pourra alors dire que les braconniers ont littéralement été trahis par un rat.
Szott et coll., « Ratting on wildlife crime: training African giant pouched rats to detect illegally trafficked wildlife », Frontiers in Conservation Science, 29 octobre 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/11/giant-rats-might-be-the-next-hot-tool-for-catching-wildlife-poachers/ (Opens in a new window)
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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Opens in a new window). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Opens in a new window), la Durabilité à l’Ère Numérique (Opens in a new window) et le pôle canadien de Future Earth (Opens in a new window).