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Les espèces sur lesquelles les données sont insuffisantes constituent un angle mort dans la conservation. Des spécialistes en génétique ont trouvé un moyen d’y remédier.

D’après leurs études, l’ADN d’un seul animal contient des indices sur le risque d’extinction de l’espèce entière.

Par Warren Cornwall (Opens in a new window)

Dans l’univers des espèces en voie de disparition, il y a un angle mort. Il s’agit des organismes classés dans la catégorie « données insuffisantes » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont la liste rouge est considérée comme la référence pour suivre l’évolution des espèces. En d’autres termes, ce manque de données signifie qu’on ne sait pas du tout ce qui se passe.

Il ne s’agit pas d’une petite lacune. Au total, on dénombre plus de 20 000 espèces concernées, soit près de 14 % de l’ensemble des organismes figurant sur la liste rouge. On peut citer le Geophis downsi (Opens in a new window), un serpent brun et fin que l’on trouve au Costa Rica; le Retrophyllum piresii (Opens in a new window), un conifère brésilien dont les feuilles ressemblent à des fougères; ou encore le Naso tonganus, un iguane à queue épineuse du sud du Honduras, le daguet d’Amérique centrale (une sorte de petit cerf), et bien d’autres.

Cette étiquette « données insuffisantes » révèle un plus vaste problème, soit le manque de renseignements de base sur de nombreuses espèces : leur nombre, leur localisation et l’éventuel déclin de leur population. L’absence de données permet aux écologistes, aux responsables des politiques et au grand public de ne pas tenir compte de certaines espèces, même si elles sont sur le point de disparaître.

Elle met également en évidence les difficultés rencontrées par les scientifiques pour recueillir suffisamment d’informations sur ces espèces afin de comprendre ce qui leur arrive. Il y a trop peu de scientifiques pour toutes ces espèces.

Aujourd’hui, des spécialistes en génétique espèrent trouver une solution à ce problème en exploitant la bibliothèque de données génétiques en plein essor sur les espèces, les possibilités croissantes de déchiffrer des génomes d’animaux entiers et les capacités informatiques en constante progression permettant d’interpréter toutes ces données.

« Les ressources limitées dont on dispose pour la conservation des espèces sauvages exigent un triage », affirme Megan Supple, experte en génomique à l’Université de la Californie à Santa Cruz (UCSC). « Notre évaluation génomique offre une méthode relativement peu coûteuse pour identifier rapidement les espèces risquant de devenir menacées dans l’avenir, même si l’on sait peu de choses sur ces espèces. »

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Mme Supple a participé à une initiative plus vaste appelée « Zoonomia (Opens in a new window) ». Ce projet, qui a mobilisé plus de 30 laboratoires dans plusieurs dizaines d’instituts de recherche, visait à mieux cerner les caractéristiques génétiques des mammifères du monde entier en comparant les génomes de 240 espèces de mammifères, allant d’une minuscule musaraigne à une orque de la taille d’un autobus. Le groupe a récemment présenté des découvertes sur des sujets aussi variés que les fondements génétiques des exploits sportifs du célèbre chien de traîneau Balto (Opens in a new window) ou les moyens d’établir les origines génétiques de certaines maladies humaines (Opens in a new window).

En ce qui concerne la biodiversité, les scientifiques ont cherché à savoir si l’ADN d’un seul animal contenait des indices permettant de déterminer si une espèce entière était menacée d’extinction.

L’idée de base est que le génome d’un animal porte des indications sur la santé d’une espèce. En règle générale, un plus grand nombre d’animaux au sein d’une espèce contribue à la santé et à la résilience de cette dernière, du fait d’une plus grande diversité génétique. Les mutations génétiques nuisibles sont moins susceptibles de devenir dominantes d’une génération à l’autre, parce qu’elles seront atténuées à mesure que les animaux porteurs de la mutation s’accoupleront avec d’autres qui n’en sont pas porteurs.

Dans l’ensemble, l’équipe de recherche a constaté que parmi les 240 mammifères, les espèces menacées étaient plus susceptibles de présenter divers facteurs de risque génétiques. Leurs génomes portaient la trace de populations anciennes moins nombreuses, présentaient davantage de mutations dans les segments de leur ADN considérés comme importants pour indiquer à l’organisme comment fabriquer de nouvelles protéines, et comportaient davantage de similitudes génétiques entre les parents.

Lorsque l’équipe a introduit 13 variables génétiques différentes dans un modèle informatique conçu pour prédire le risque d’extinction, elle a prédit avec précision si l’espèce était ou non menacée d’extinction dans 69 % à 82 % des cas, selon le modèle utilisé, selon un rapport (Opens in a new window) publié la semaine dernière dans la revue Science.

Bien que ce soit mieux qu’un taux de réussite de 50 % obtenu à pile ou face, c’est moins satisfaisant que lorsqu’on avait fourni au modèle des données écologiques détaillées sur une espèce précise, telles que l’âge auquel un animal est sevré, l’âge auquel il accouche pour la première fois et l’âge auquel il atteint la maturité sexuelle. L’ordinateur obtenait alors la bonne réponse dans 88 % des cas.

Mais, contrairement à ce que dit le proverbe, le mieux n’est pas nécessairement l’ennemi du bien. Dans le cas présent, l’équipe de recherche a noté que même si l’analyse génomique est imparfaite, elle pourrait leur donner une indication sur les espèces qui méritent un examen plus approfondi et le genre d’examen qui peut produire les informations écologiques nécessaires.

Pour illustrer ses propos, l’équipe a comparé les risques d’extinction déduits à partir des génomes du rat-taupe aveugle des montagnes de Haute Galilée, de l’orque et du chevrotain malais, une sorte de cerf de la taille d’un lapin. Toutes ces espèces sont classées dans la catégorie « données insuffisantes » par l’UICN. Selon les modèles génomiques, le rat-taupe a la plus faible probabilité d’être menacé (de 11 % à 44 %), tandis que l’orque présente la plus forte probabilité (de 35 % à 68 %). 

« Nos résultats montrent que le génome d’un seul animal peut suffire à identifier les espèces les plus menacées parmi celles dont les données sont insuffisantes, ce qui nous permet de mieux exploiter nos ressources limitées », soutient Beth Shapiro, une scientifique de l’UCSC qui a participé à ces travaux.

Cela aidera peut-être les scientifiques à déterminer les points à éclairer concernant les espèces qui se trouvent dans l’ombre.

Wilder et coll. « The contribution of historical processes to contemporary extinction risk in placental mammals », Science, 27 avril 2023.

Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2023/05/data-deficient-species-are-a-conservation-blind-spot-geneticists-found-a-way-to-see-through-it/ (Opens in a new window)

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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (Opens in a new window). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (Opens in a new window), la Durabilité à l’Ère Numérique (Opens in a new window) et le pôle canadien de Future Earth (Opens in a new window).

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