Interview Kevin Aymoz - SP loupé, café et recette de cuisine !
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7 décembre 2024 - Nous sommes à quelques heures du programme libre Messieurs. Kevin joue à domicile. Ce n’est pas qu’une image. Né à Echirolles, à quelques encâblures de la patinoire il y a vingt-sept ans, il s’est d’abord essayé au hockey, avant de se tourner très rapidement vers le patinage artistique. Il n’avait que cinq ans. Il y a donc vingt-deux ans qu’il sillonne la glace grenobloise de ses lames. Il s’y entraîne tous les jours, Pôlesud est sa deuxième maison, il en connaît tous les coins et recoins. Il s’en amuse : “J’ai l’impression de recevoir le patinage international chez moi !” J’ai à peine branché mon micro, qu’il parle déjà, sans que j’ai posé de question.
Kevin Aymoz : Mon court n’était pas un mauvais programme, mais le court est un programme technique, on le sait. Donc, quand il n’y a pas les trois sauts c’est… [il baisse la voix, lève les yeux au ciel mais garde le sourire] im-par-don-nable !
Patinage Magazine : Les sauts ne sont pas passés, mais, tout le reste était très propre et très réussi. Tu n’as pas baissé les bras.
Kevin : Non ! Pas question. J’ai obtenu des niveaux 3, 4 et 5 [séquence de pas et pirouette]. Je ne m’en suis pas rendu compte en patinant. J’ai commis plein d’erreurs en technique pure, mais j’ai trouvé plein de points positifs sur d’autres éléments. Dans la séquence de pas par exemple, les angles, les carrés, tout ces trucs, sont passés comme dans un rêve. Donc je ne vois pas ce court comme un programme totalement mauvais. Mais les composantes n’ont qu’un facteur 1.67 contre 3.33 pour le libre. Donc au court, il ne faut pas se rater car on ne peut pas se rattraper avec. La marge est ultra serrée. J’ai pris davantage une claque émotionnelle qu’une claque technique. Des quads, j’en fais, j’en rate tout le temps, des triple Axels j’en loupe moins, mais bon… Non, le problème c’est d’être ici à Pôlesud, dans mon espace et de me faire dessus [il emploie un autre mot que “faire”] dans mon espace. Je me dis : “tu avais la chance d’être à la maison, et cette chance tu ne l’as pas prise.” J’ai voulu la prendre ! Mais j’étais trop tendu [il mime une crispation de tout le corps], vraiment trop serré, à l’étroit dans ma peau ! C’est très bizarre parce que, avant la compétition, je n’ai pas du tout stressé de la journée. J’ai commencé à stresser seulement à quelques minutes du programme. J’ai réalisé un échauffement super clean. Mais au début du programme proprement dit, j’ai ressenti une énergie beaucoup plus intense que d’habitude. J’allais plus vite, j’étais plus grand, j’étais plus fort et… j’ai pensé : “là, Kev, tu en fais trop !!” Mon cerveau ne savait plus gérer le truc.
P.M. : Tu es arrivé sur le quad boucle piqué très très vite…
Kevin : Le pire c’est que je n’avais pas du tout peur. J’avais trop envie de bien faire, vraiment trop envie. Et j’ai pris une bonne leçon. J’avais appelé mon préparateur mental avant la compétition pour lui dire : “je ne comprends pas, d’habitude je stresse, et là je suis excité comme une puce. Pendant dix mois, on a travaillé sur des sentiments que je dois gérer et que je connais. Et là, surprise, un truc nouveau qu’on n’a jamais étudié ! Merde, il faut que ça tombe maintenant !!” [rires] Il m’a répondu : “c’est normal, ça risque d’être un peu dur. Fais ce que tu peux, on en tirera des conséquences après”. J’en tire que je suis content d’être là. C’est la deuxième fois que je me qualifie en Finale du Grand Prix, d’autres n’y parviennent jamais, c’est une opportunité de dingue. Pour moi, c’est la cerise sur le gâteau cette saison. Je prends tout ça comme une mise en situation pour les compétitions qui vont suivre. Au Skate America, j’ai vécu un certain stress, au Grand Prix de Finlande c’était un stress différent. Ici c’est encore autre chose, mélangé à une grosse euphorie parce que je suis chez moi. Je me retrouve avec une belle palette d’émotions dans mon jeu. Je peux me dire : “maintenant tu es passé par plusieurs cas de figure, tu es assez mature aujourd’hui pour gérer ça sereinement”.
P.M. : Tu es pour l’instant 6ème. Si on relativise, il n’y a jamais que cinq patineurs devant toi. Ce n’est pas si énorme. Tu peux tous les asseoir dans ta voiture ! [rires]
Kevin : Oui et en plus c’est une petite voiture !! Mon compagnon m’a dit un truc très dôle : “regarde les, ce sont des enfants, on dirait qu’ils partent à la guerre ! Ne touchez pas aux enfants ! Toi tu as l’expérience maintenant”. Mais l’expérience, on l’acquiert tous les jours, ça ne s’arrête jamais.
P.M. : Tu es souvent à Lausanne . Tu t’y entraînes ?
Kevin : Oui, mon compagnon vit à Lausanne et je remercie la ville de m’ouvrir sa glace. Je m’y entraîne tout seul comme un grand. Ca m’a donné des responsabilités [il dit cela avec un petit accent d’auto-dérision]. Parfois je regarde autour de moi et je me dis : “tiens il n’y a personne pour me donner un coup de pieds aux fesses ? Bon il va falloir y aller, je vais me le mettre tout seul !” J’ai réduit ma dose d’entraînement pour des séances plus courtes, mais plus intenses. Je suis arrivé à caser mes trois heures d’entraînement d’avant en deux fois cinquante minutes. Ca marche très bien. Quand j’en sors, j’ai tout donné, je me sens accompli et productif. Parfois, il me faut un peu plus de temps pour être sûr d’avancer. Et il y aussi le travail ici avec Françoise [Bonnard], ça n’a pas changé.
P.M. : Comment as-tu déniché tes musiques cette année ? Encore une fois, elles te collent à la peau…
Kevin : J’ai trouvé la musique de mon court sur TikTok ! Des gens dansaient là-dessus et ça a fait tilt tout de suite. C’était un truc de feu, mais la chorégraphie ne convenait pas du tout pour le patinage. J’ai d’abord pensé que, pour patiner là-dessus, il fallait être danseur sur glace et être chez I.A.M. [Ice Academy of Montreal]. Quelques jours plus tard, j’étais en soirée… Je buvais du thé, je te rassure [rires], et tout d’un coup cette même musique est passée. J’ai vu ça comme un signe, moi tu n’as pas besoin de me lancer deux fois ! Je l’ai réécoutée, je l’ai envoyée à Silvia et John. Cap’ ou pas cap’ ? Ils sont généralement cap’ pour tout, sauf une ou deux fois où ils ont freiné des quatre fers en disant, non, là, tu es zinzin ! Cette fois, ils m’ont dit : “l’an dernier tu étais parterre, il faut du fun, cette chanson est parfaite, on y va !” Les musiques, il faut se les taper dix fois par jour pendant un an, il vaut mieux qu’elles te plaisent ! Celle du libre, je l’ai trouvée aussi sur TikTok ! C’est toute une jolie petite histoire d’ailleurs… Celle du milieu [“Hold on Tight” de Thomas Azier], je la connaissais depuis longtemps, je l’écoutais déjà, et elle me faissait battre le coeur. Mais pour la première partie, j’étais triste de ne rien trouver qui allait avec. Et je tombe sur une vidéo d’une petite qui joue du piano. Je ne sais pas qui elle est car on ne voit que ses mains. J’entends la mélodie qu’elle interprète, j’aime beaucoup, et j’appuie sur “like”. Puis je regarde le nom du compte, L….38 [pseudo volontairement non cité]. Bizarre, des L….38, il ne doit pas en exister des milliers. Et je connais quelqu’un qui porte ce nom dans mon propre club, le GIMP ! Je vais la voir et c’est bien elle ! Elle me donne le nom du morceau, “Van Gogh” de Virginio Aiello et je me jette dessus ! Le tilt im-mé-diat ! La dernière partie, “Destiny” de Karl Hugo, m’a été proposée par Hugo Chouinard qui a effectué le montage musical. Le programme a, lui, été monté en trois jours. Silvia trouvait que je montrais trop de choses de moi avec ces trois morceaux et je lui ai demandé de me faire confiance. Parce que je sentais vraiment le truc en moi. Elle m’a très vite donné raison. Et tiens toi bien, le compositeur de la première partie, Virginio, m’a contacté sur Instagram ! Je lui ai dit que j’espérais faire honneur à sa musique et retranscrire quelque chose qui colle à son univers. Il m’a répondu que j’étais en plein dans le mille tout en étant moi-même. J’ai été tellement fier… J’ai relayé son message à L….38 qui est devenue une de ses followers et qui lui a envoyé sa propre interprétation, qu’il a beaucoup appréciée. Il l’a félicitée, elle n’en revenait pas ! Les réseaux sociaux, c’est magique !
P.M. : Il t’était déjà arrivé qu’un compositeur te contacte suite à ton utilisation de sa musique, non ?
Kevin : Oui, Jamie de The Irrepressibles pour “In this Shirt”. J’étais tombé de ma chaise. Là, pareil ! [rires]
P.M. : On parle généralement peu de ce que tu fais en dehors du patinage, pourtant tu as une vie comme tout le monde. Qu’est-ce que tu aimes ?
Kevin : Vaste sujet [rires]. Mais en fait tu me poses une colle, parce que c’est tellement naturel que je n’y pense pas… Si tiens : j’adore aller boire du café ! L’odeur du café est un truc chargé en émotions pour moi. Je trouve ça rassurant. Peut-être que ça me rappelle mes parents quand j’étais petit, l’odeur du café à la maison. J’aime bien aller dans des petits coins un peu atypiques, avec de la vaisselle étrange, des décors différents. Mon compagnon adore le cinéma, les séries, la BD, je suis rentré dans ces univers grâce à lui. Avant j’allais aux ciné avec ma meilleure amie Margaux très souvent. Puis quand j’ai émigré aux US, j’ai arrêté car pour moi aller au ciné sans elle n’avait pas d’intérêt. Maintenant j’y vais avec mon copain régulièrement. Oh et je me suis mis à la cuisine !! Je me suis découvert une passion pour ça. J’ai une recette gé-niale !!
P.M. : Tu nous la donnes ? [rires]
Kevin : Mais oui !! [Je plaisante mais Kevin est très sérieux]
[Ce qui suit aurait mérité d’être filmé car il mime tous les gestes avec une application scrupuleuse en faisant des petits bruits “de cuisine” avec la bouche]
C’est une tarte poireaux/oignons. Dé—li-cieuse ! [rires] Je fais ma pâte à tarte moi-même. Je la pique, je la pique, je la pique. Ensuite je mets de la moutarde dessus, mais juste un peu, vraiment léger. Puis de la fleur de sel. De la fleur, pas du sel en poudre ! Fleur de sel. Fleur-de-sel Kate !! [votre serviteur est écroulée de rire…] Comme ça, quand tu croques dedans, tu sens les petits morceaux qui n’ont pas fondu à la cuisson, c’est divin. Puis tu ajoutes du pesto.
P.M. : Vert ou rouge ?
Kevin : Moi je suis team vert, mais tu fais comme tu veux. Tu fais fondre tes poireaux à la poêle et tu les répartis sur le fond de tarte…
P.M. : Kevin, tu réalises que je vais vraiment publier cette recette dans ton interview n’est-ce pas ?
Kevin : Mais OUI, absolument ! Tout le monde doit la tester ! Je te dis que c’est une tuerie ! Par contre je préviens, une fois que tu as mangé ça, il vaut mieux n’embrasser personne ! [rires] On en était aux poireaux… Maintenant tu fais revenir dans ta poêle un gros oignon rouge et deux oignons blancs. Comme les poireaux, il ne faut pas qu’ils soient trop cuits, juste fondus, transparents. Tu les ajoutes au reste et là, c’est au tour de l’ingrédient qui tue : tu mets un filet de miel sur le tout. Pas beaucoup, juste pour que les légumes caramélisent. Sel, poivre, ail en poudre, tu enfournes jusqu’à ce que la pâte sur les bords soient bien dorée. Tu éteins le four et tu laisses encore la tarte dedans cinq minutes. Cinq, pas plus, sinon ça sèche !
P.M. : J’ai l’eau à la bouche…
Kevin : Attends, s’pas fini ! Tu prends de la crème de vinaigre balsamique et tu arroses la tarte avec. Juste un filet un peu partout à déposer très vite, façon funky tu vois ? Touche finale : une burrata que tu déposes dessus pendant que la tarte est chaude pour qu’elle fonde un peu, un filet d’huile d’olive, encore un peu de sel et de poivre et tadaaaaa ! C’est prêt ! Attends, j’ai une photo ! Je te l’envoie ! [Il s’exécute]
P.M. : Je peux la publier aussi ?
Kevin : Evidemment ! Oh la ça me donne faim, j’ai envie d’en manger une du coup ! Et je fais aussi des gâteaux Kate, je m’éclate comme jamais !
P.M. : Tu comptes ouvrir un restaurant ou un blog de cuisine ? [rires]
Kevin : Ah non, ce n’est pas au programme !
P.M. : A propos de programme, bonne chance pour le libre de ce soir !
Kevin : Ca va aller, je ne suis pas inquiet. Je n’ai rien à perdre et je ne peux pas faire pire qu’hier !!
En exclusivité pour vous, la photo de la tarte poireaux/oignons à la Aymoz ! C’est vrai que ça a l’air très bon !
Kate Royan