Championnats d’Europe Tallinn 2025, danse libre : des Robots, un Eléphant et Beyoncé
Certes, aux yeux grand public, la danse libre de Charlène Guignard et Marco Fabbri peut sembler hermétique. L’idée est pourtant issue d’une exhibition qui a eu beaucoup de succès. Elle est moins acclamée que celle des Britanniques et des Français. Pourtant, c’est une prouesse artistique et technique. Marco explique en conférence de presse qu’ils ont du mal à l’adapter à la compétition, ce qui n’est pas surprenant compte tenu des règles drastiques de la danse sur glace. Tout ici a été mesuré et pensé avec une extraordinaire finesse. J’admire de plus en plus la façon qu’ils ont d’adapter leur gestuelle, habituellement ronde et douce, au monde rigoureux et désincarné des robots. On retrouve cette rondeur dans la partie lente du programme, ce qui casse le côté brut de l’ensemble. Tout n’est pas parfait dans l’exécution, les twizzles de Marco sont de niveau 3 contre 4 pour Charlène, avec des GOEs mitigés. Circulaire niveaux 2 et 3, passage sur un pied niveau 2. Mais ils gagnent aisément le libre (127,89) et leur troisième titre européen d’affilée (212.12).
Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud sont soulagés. Visiblement, ils ont craint un instant d’être coiffés au poteau par les Britanniques, toujours aussi soutenus par les juges. Mais non, heureusement, l’équité est respectée. D’un seule coup de lame, ils gagnent une vitesse spectaculaire. Aussi spectaculaire que ce premier porté en chandelle. La puissance est là, mais elle n’en met pas plein les yeux, elle n’écrase pas le programme. Le passage lent, sur une partition lancinante, est comme une bouffée d’air. Le final coupe le souffle. Ils ne sont que 4èmes du libre (124.01), mais cela suffit à leur assurer une superbe médaille d’argent (206.76). 9èmes en 2022, 5èmes en 2023, 4èmes en 2024, avec cet “Elephant” de BFRND, les voici solidement ancrés dans le paysage européen.
Seconds aujourd’hui avec 124.45, Lilah Fear et Lewis Gibson repartent de Tallinn avec une médaille de bronze (206.02). Contrairement à hier, ils ont le sourire. Leur danse, sur trois morceaux de Beyoncé, est pourtant, comme le plus souvent, techniquement critiquable. Trop de pauses, trop de longues traversées un peu vides. Ils me semblent tendus, moins enthousiastes qu’à l’accoutumée. Si les Français ont craint de se faire doubler, Lilah et Lewis ont peut être eu peur de se faire éjecter du podium. Par qui ? Par Juulia Turskkila et Matthias Versluis. Ils sont passés avant les Britanniques, ils ont été bien notés, ce tango leur va bien, ils sont dans leur registre. Juulia, d’habitude si juste, en fait aujourd’hui un peu trop dans les grimaces dramatiques. Mais le programme a de la consistance et de la qualité. Les niveaux sont en majorité à 3 et 4, les GOEs sont élevés, les composantes plus inégales. 3èmes du libre (124.43), ils terminent au pied du podium (205.69).
Olivia Smart et Tim Dieck nous offrent un très beau “Dune”, plein de recherche et de finesse. Les coaches et chorégraphes de I.A.M. sont vraiment maîtres dans l’art de concevoir des programmes adaptés à la personnalité et au patinage de leurs poulains. Mais leur travail ne serait rien sans le talent de leurs élèves. Le patinage est subtil, les lignes sont épurées, les changements de direction en courbes d’une grande douceur. Certains geste ne sont pas encore totalement aboutis, mais il existe un équilibre entre les deux partenaires, et une connexion beaucoup plus évidente que dans leur RD. 5èmes avec 122.85, ils sont aussi 5èmes du général (198.98). Allison Reed et Saulius Ambrulevicius sont plus convaincants qu’hier. Il est joli ce programme dans lequel elle joue la poupée et lui une sorte de marionnettiste. Je le trouve empreint de poésie, ce qui est une gageure sur trois morceaux d’Apashe. Le musicien belge est adepte des mélanges hip hop, dubstep, techno et musique classique. La dernière parition choisie a un petit air de feu d’artifice, avec une importante accélération. Allison et Ambrulevicius ne sont pas les plus fins techniciens du monde, mais ils évoluent avec enthousiasme et motivation. 7èmes de ce segment de la compétition (117.99), ils finissent 6èmes.
Dans ce libre, les Lituaniens sont battus par les étonnants Finlandais Yuka Orihara et Juho Pirinen. Autant leur RD était convenue, autant cette danse sur le thème de “Chorus Line”, est intéressante. Le couple a encore beaucoup de défauts qu’il faudra penser à rapidement gommer : tout est fait en tandem, ce qui finit par être visuellement pesant, les carres ne sont pas nettes, mais on sent leur envie de bien faire et une belle intention. 6èmes (118.24), ils sont 7èmes au final (193.94).
Aussi sympathiques soient ils, dans quel monde peut on classer Orihara/Pirinen devant Demougeot/Le Mercier ? Niveau technique et composantes, il n’y a pourtant pas photo. Idem pour Davis/Smolkin qui doublent également les Français. Il n’y a rien de la recherche de difficulté et de l’émotion dégagées par les Villardiens dans les programmes des Géorgiens et des Finlandais. Loïcia et Théo savent parfaitement transcrire les sentiments véhiculés par leur thème : souffrance, poésie, mais aussi innocence et légèreté. Comme hier, les pas ne sont pas tout à fait assez nets dans la diagonale, ce sera le seul petit point négatif. Ils perdent quatre places alors qu’aucune erreur majeure n’a été commise (10èmes, 113.87). Ce sera donc un 9ème rang européen pour eux (190.01). Taschlerova/Taschler sont également devant les Français aujourd’hui (115.05), mais 10èmes au final (188.49).
Natacha Lagouge et Arnaud Caffa reculent d’un cran, 16èmes avec 101.49. J’aime beaucoup leur libre de cette année, plein de délicatesse, avec une musique qui monte en puissance et une chorégraphie bien adaptée. Arnaud manque repartir sans sa chemise, dont le col s’est accroché à la robe de Natacha. Heureusement, rien n’est tombé sur la glace, leur évitant le classique point de déduction pour “wardrobe malfunction”. Ils soldent leurs premiers championnats d’Europe par une 16ème place (167.09).
Kate Royan
Classement final (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)