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Voici comment la pisciculture pourrait devenir une solution au problème du climat

Une nouvelle étude analyse une solution potentiellement gagnante à la fois pour la santé des poissons et la capture du carbone. L’ingrédient essentiel est un élément auquel on ne s’attendait pas forcément.

Par Emma Bryce (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)

Selon un nouveau modèle de recherche, l’ajout de fer dans les exploitations piscicoles pourrait permettre de capturer au moins 100 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an dans les pays où l’aquaculture est intensive. Cette quantité pourrait suffire à compenser la majeure partie de l’impact carbone des exploitations aquacoles, qui contribuent chaque année à hauteur de 5 à 7 % aux émissions mondiales liées à l’agriculture et à l’élevage.

Ironiquement, une partie de cette solution réside dans un autre problème de pollution créé par les fermes piscicoles, soit les quantités croissantes de sulfure d’hydrogène. Il s’agit d’un sous-produit gazeux toxique qui s’accumule lorsque les microbes présents dans les milieux à faible teneur en oxygène, comme les sédiments océaniques, se nourrissent de matières organiques. Or, les fermes piscicoles industrielles en produisent en abondance sous forme d’excréments des poissons et d’excédents de nourriture qui coulent au fond des bassins.

Même en faible quantité, le sulfure d’hydrogène produit par les microbes qui se nourrissent peut causer une mortalité massive des poissons dans les fermes et avoir des effets d’entraînement sur les écosystèmes lacustres et océaniques plus vastes où se trouvent les installations de pisciculture.

Mais comme l’explique une nouvelle étude parue dans Nature Food, le minerai de fer réagit naturellement avec le sulfure d’hydrogène pour former du sulfure de fer, et ce minéral peut alors être séquestré dans les sédiments sous une ferme piscicole, où il ne peut pas empoisonner les poissons. Point crucial pour cette étude, l’augmentation du sulfure de fer dans un environnement peut également accroître l’alcalinité de l’eau. Or, des eaux plus alcalines peuvent absorber davantage de CO2 et le convertir en formes stables.

« Une alcalinité plus élevée permet à l’eau d’absorber plus de CO2 de l’atmosphère, en le convertissant en bicarbonate et en carbonate, qui sont stables et stockés dans l’eau à long terme », explique Mojtaba Fakhraee, associé de recherche postdoctoral à l’Université Yale et auteur principal de la nouvelle étude.

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En se basant sur cette dynamique intéressante, les responsables de l’étude ont élaboré un modèle pour simuler ce qui se passerait si les fermes piscicoles du monde entier étaient saupoudrées de minerai de fer afin de relever le double défi du sulfure d’hydrogène, qui tue les poissons, et des émissions de gaz à effet de serre. Leur modèle simule les cycles du carbone, du fer et du soufre dans les sédiments marins en fonction d’une série de conditions environnementales, et examine l’aquaculture dans divers pays pour dégager des conclusions.

Leur principale découverte est que l’ajout de minerai de fer pourrait permettre de séquestrer jusqu’à 100 millions de tonnes de CO2 par an dans un pays où l’aquaculture est intensive comme la Chine. Selon les calculs de l’équipe, l’ajout de cet élément permettrait de piéger entre deux et dix tonnes de carbone par hectare de pisciculture et par an. La Chine, associée à d’autres grands pays producteurs de poissons d’élevage comme l’Inde et l’Indonésie, pourrait collectivement séquestrer entre 25 et 140 millions de tonnes de carbone grâce au minerai de fer, d’après l’étude.

Selon le pays et le contexte, la méthode d’enrichissement en fer pourrait en fait capturer l’équivalent de 50 %, en moyenne, des émissions actuelles de l’aquaculture, et même jusqu’à 100 %. « Cette approche pourrait faire de l’aquaculture un secteur d’activité neutre en carbone, voire négatif, ce qui est essentiel pour lutter contre le changement climatique et garantir une production alimentaire durable », avance Mojtaba Fakhraee. 

Cette méthode pourrait également permettre de créer une source de protéines de viande à très faibles émissions de carbone. Une pincée de minerai de fer pourrait en effet réduire la production de carbone par gramme de protéine à entre 0 et 20 grammes pour les poissons d’élevage, soit nettement moins que les 240 grammes de CO2 générés pour chaque gramme de protéine de bœuf. L’ajout de fer permet en outre de garder les eaux plus propres et plus saines pour les poissons, en contrôlant le sulfure d’hydrogène qui, autrement, entraînerait la mort de milliers d’entre eux chaque année.

Certes, l’extraction et le transport du minerai de fer a un coût, ce dont l’équipe de recherche a tenu compte. Ainsi, elle a calculé que l’élimination de chaque tonne de carbone des fermes piscicoles ne coûterait que 100 à 300 dollars, ce qui correspond au coût d’autres technologies d’élimination du carbone. Surtout, elle ajoute que ce montant est inférieur au coût social du carbone (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).

L’enrichissement en fer présente des inconvénients, et des recherches sur le terrain sont nécessaires pour observer ses effets éventuels sur l’environnement, selon l’équipe. Mais les exploitations piscicoles ont également une formidable possibilité d’exercer un impact positif sur le climat. L’aquaculture se développe à l’échelle mondiale (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) et devrait connaître une croissance de 22 % (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), soit près d’un quart, d’ici 2030. À cette date, le secteur fournira 53 % (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) de tout le poisson que nous consommons. En parallèle, ses émissions augmenteront, tout comme le potentiel de capture de quantités croissantes de sulfure d’hydrogène. Par ailleurs, les élevages sont sous notre contrôle direct, et les interventions dans ces environnements pourraient donc avoir des effets tangibles et mesurables sur la santé de ce système alimentaire et de la planète.

En fin de compte, selon Mojtaba Fakhraee, ces résultats « donnent à envisager une double solution : réduire l’empreinte carbone de l’aquaculture tout en favorisant la préservation de l’environnement ».

Mojtaba Fakhraee et Noah J. Planavsky, « Enhanced sulfide burial in low-oxygen aquatic environments could offset the carbon footprint of aquaculture production (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) », Nature Food, 2024.

Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2025/01/heres-how-fish-farms-could-double-as-a-climate-solution/ (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)

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Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), la Durabilité à l’Ère Numérique (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) et le pôle canadien de Future Earth (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).

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