Près du quart de l’Europe a le potentiel de devenir un sanctuaire d’espèces sauvages
Une grande partie du continent pourrait faire l’objet d’un « réensauvagement », mais bon nombre de ces territoires ne sont pas protégés, constatent des scientifiques.
Par Warren Cornwall (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)
Depuis plus de 1 000 ans, les terres de l’Europe sont soumises à l’exploitation agricole et forestière ainsi qu’à l’aménagement de routes et de lotissements, ce qui semble faire de ce continent l’un des moins sauvages de la planète.
Pourtant, près du quart de cette région densément peuplée est encore assez vierge pour subvenir aux besoins d’herbivores et de carnivores clés qui font partie intégrante des écosystèmes sauvages fonctionnels, selon une nouvelle recherche. De la toundra arctique norvégienne à la Sierra Nevada du sud de l’Espagne, de vastes étendues où la présence humaine se fait rare offrent une possibilité d’atteindre des cibles de biodiversité grâce au rétablissement de la vie sauvage, un processus parfois appelé « réensauvagement ».
« On trouve en Europe de nombreux secteurs à faible empreinte humaine abritant d’importantes espèces animales où un réensauvagement serait possible », affirme Miguel Araújo (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), biogéographe affilié au Musée national des sciences naturelles d’Espagne et à l’Université d’Évora, au Portugal.
L’Europe, comme bien d’autres endroits dans le monde, s’est donné l’objectif ambitieux de conserver 30 % des terres (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) d’ici 2030 afin de freiner la destruction des habitats, un facteur central dans le déclin des espèces sauvages à l’échelle mondiale.
Miguel Araújo et un collègue de l’Université d’Évora ont voulu savoir quelle superficie du territoire européen présentait des caractéristiques susceptibles de favoriser le développement d’écosystèmes sauvages sains permettant d’atteindre ces objectifs, et où se situaient ces terres. Pour ce faire, ils ont passé au peigne fin les cartes d’Europe afin de trouver des endroits qui répondaient à trois critères clés : empreinte humaine, comme des maisons et des routes, sur moins de 5 % du territoire; terres regroupées dans des zones d’au moins 100 km2; et secteur déjà occupé par un herbivore ou un carnivore clé ou ayant le potentiel de l’être si un tel animal y était réintroduit.
Il s’avère que près de 1,2 million de kilomètres carrés de terres en Europe répondent à ces critères, soit plus que la France et l’Espagne réunies, ont indiqué les scientifiques la semaine dernière (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) dans Current Biology.
Comme on pouvait s’y attendre, une grande partie de ce territoire se trouve dans des endroits froids ou en altitude, c’est-à-dire dans des régions éloignées où il est difficile de cultiver la terre et d’y vivre. De grandes parties de la Scandinavie, les Highlands du nord de l’Écosse et les régions montagneuses de l’Espagne offrent certains des terrains les plus prometteurs : des parcelles de terre de plus de 1 000 km2, peu peuplées, qui abritent déjà des espèces vitales.
Bien que moins idéales, de nombreuses régions de superficie moindre respectent aussi les critères des scientifiques, notamment une grande partie de l’Espagne et du Portugal, du sud de la France, des Balkans et du sud-est de l’Europe, les États baltes et, encore une fois, la Scandinavie.
Au total, ces terres représentent près de 25 % de la superficie de l’Europe. Mais cela ne signifie pas que le continent est déjà sur la bonne voie pour atteindre son objectif. Dans certains endroits, le nombre d’espèces clés était inférieur à ce qu’il aurait dû être naturellement, selon la recherche. En outre, près des trois quarts des terres se trouvent en dehors des zones actuellement protégées, ont constaté les scientifiques.
Onze pays, dont ceux de la Scandinavie, les pays baltes, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni, pourraient atteindre leurs objectifs de conservation en protégeant une partie de leur territoire.
Les scientifiques reconnaissent toutefois qu’un certain nombre de pays européens ne seront pas en mesure d’atteindre leurs objectifs de conservation en laissant simplement la nature suivre son cours. C’est particulièrement vrai en Europe centrale et méridionale, où il y a une forte densité de population, comme en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Italie et en Hongrie.
Dans ces endroits, les gens devront faire preuve d’une plus grande créativité. Les interventions nécessaires pourraient se traduire par la restauration de milieux comme d’anciennes mines pour les rendre favorables à la vie sauvage, la création d’un réseau de petits lieux protégés interreliés ou la recherche de moyens d’exploiter les terres agricoles ou les forêts de manière plus compatible avec la vie sauvage, note l’équipe de recherche.
Quoi qu’il en soit, il est urgent de progresser dans l’atteinte des cibles, et pas seulement en raison de l’échéance politique de 2030. Même des habitats naturels apparemment de premier ordre subissent des transformations attribuables à des phénomènes comme les changements climatiques. En Scandinavie, par exemple, les hivers plus chauds qu’avant ont engendré de nouveaux dangers (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) pour les rennes, comme les tempêtes qui recouvrent la neige d’une couche de glace, empêchant les animaux d’atteindre les plantes dont ils se nourrissent.
« Nous menons une course contre la montre, a déclaré Araújo. Les zones qui semblent les plus prometteuses pour le réensauvagement aujourd’hui pourraient ne plus l’être dans 50 ans en raison des répercussions des changements climatiques. »
Araújo et coll. Expanding European protected areas through rewilding, Current Biology.15 août 2024.
Article original en anglais : https://www.anthropocenemagazine.org/2024/08/nearly-a-quarter-of-europe-has-the-potential-to-be-a-wildlife-haven/ (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)
Suivez-nous sur :
🖤 Twitter (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) 💙 LinkedIn (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) 💜 Instagram (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre)
Anthropocène est la version française d’Anthropocene Magazine (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre). La traduction française des articles est réalisée par le Service de traduction de l’Université Concordia (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre), la Durabilité à l’Ère Numérique (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre) et le pôle canadien de Future Earth (S'ouvre dans une nouvelle fenêtre).